Début avril 2023, Glencore a tenté de racheter la société minière canadienne Teck Resources. Le géant suisse des matières premières a offert aux actionnaires de Teck ses propres actions, d'une valeur de plus de 22 milliards de dollars, dans l'espoir d'inciter les Canadiens à vendre.
Le conseil d'administration a rejeté la proposition par retour de courrier et 17 mois plus tard, on comprend mieux pourquoi: la valeur de la firme canadienne a connu une hausse d'environ 35% par rapport à ce que Glencore était prête à payer. Dans le même temps, depuis l'échec de la reprise, les titres Glencore ont, eux, perdu 15%.
Cette opération confirme une vieille constatation, que l'on retrouve dans l'une des dernières études d'UBS:
Dans le cas présent, les actionnaires de Teck se sont enrichis en faisant exactement ce que les propriétaires de Glencore refusent de mettre en place pour eux-mêmes.
Les premiers ont vendu leur activité de loin la plus rentable, l'extraction de coke (réd: un combustible similaire au charbon), sans n'en garder aucune partie, comme cela était d'abord prévu. Et qui en est l'acheteur? Glencore.
L'accord ressemblait au début à un succès partiel pour le géant zougois. Celui-ci s'était en effet présenté au Canada début 2023 avec l'idée de fusionner les entreprises, puis de les scinder en deux sociétés distinctes, une SA Charbon et une SA Métaux, pour ensuite créer à partir de la SA Métaux la nouvelle Glencore, qui se concentrerait sur l'extraction de cuivre et d'autres métaux indispensables à la fabrication de batteries, et donc à la transition énergétique.
Mais sans le cuivre des Canadiens, Glencore ne veut finalement pas se risquer à cette scission - et pour cause: le plus grand producteur privé de charbon au monde a augmenté ses activités dans l'«or noir» d'environ un quart en rachetant les mines de Teck. Il a annoncé début août qu'il conserverait cette activité. Une décision soutenue par une «majorité écrasante» de deux tiers des actionnaires lors d'une consultation, a indiqué Glencore.
C'est «la voie optimale» pour créer de la valeur «tangible et réalisable» pour les actionnaires, selon le communiqué. La formulation peut faire sourire, alors que Teck Resources montre justement à toutes les personnes qui misent sur Glencore qu'un accroissement de valeur est tout à fait possible, même sans charbon.
En tant que grand producteur de charbon, Glencore n'intéresse même plus de nombreux gestionnaires de fortune institutionnels, dont par exemple le fonds souverain norvégien Norges Bank. Alors pourquoi l'entreprise s'accroche-t-elle malgré tout à cette activité?
Selon ses propres dires, certains de ses actionnaires contestent le fait qu'une meilleure notation de sa politique climatique spécifique par la communauté financière internationale (notation ESG) conduise à une meilleure évaluation boursière. Surtout que le coke racheté à Teck Resources sert au fonctionnement des hauts fourneaux de l'industrie sidérurgique et n'est pas utilisé comme combustible de substitution pour les centrales électriques au charbon.
Le 95% des actionnaires qui soutiennent la poursuite de l'activité n'explique toutefois que très partiellement la situation. De nombreux actionnaires critiques se sont récemment détournés de l'entreprise et ont ainsi laissé derrière eux une sorte d'alliance des amis du charbon. Alors qu'il y a deux ou trois ans, environ 30% des actionnaires de Glencore votaient contre un plan interne de protection du climat, il n'y avait pratiquement plus d'opposition lors de la dernière assemblée.
Selon Glencore, beaucoup se sont également montrés sceptiques quant à la capacité du groupe à atteindre la taille nécessaire dans l'extraction de métaux sans Teck Resources. Cet argument est, lui aussi, difficile à interpréter. La firme canadienne a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 2,5 milliards de dollars dans l'extraction de cuivre et de zinc au cours des six premiers mois de l'année. Sur la même période, Glencore a réalisé un total de ventes de seize milliards avec ces deux matières premières.
Reste l'argument selon lequel elle pourrait aisément financer une extension des capacités d'extraction des métaux importants pour l'industrie des batteries à partir de «l'or noir». Encore une justification qui convainc peu. Certes, Teck Resources veut aussi utiliser la moitié du produit de la vente de son activité Charbon dans cette optique. Mais au lieu de transférer sept milliards de dollars au Canada, Glencore aurait pu utiliser cette manne pour cela.
Il semble donc que les deux plus gros actionnaires, l'ancien CEO Ivan Glasenberg (9,9%) et le fonds souverain du Qatar (8,6%), n'aient pas cru à une valorisation boursière acceptable du charbon seul, et ce en toute indépendance économique. On peut considérer le rachat du coke comme une tentative de booster quelque peu la faible valeur à long terme de son propre grand portefeuille de charbon pour centrales électriques. Et d'éviter ou de reporter ainsi une correction de l'évaluation des actions Glencore, qui serait en soi nécessaire.
Avec une valeur boursière de 48 milliards de livres sterling, Glencore vaut actuellement environ un quart de plus que lors de son entrée en bourse en 2011. L'indice FTSE 100, très axé sur les matières premières, a progressé presque deux fois plus dans le même temps, et ce malgré le rachat d'actions par le groupe zougois à hauteur de neuf milliards de dollars au cours des cinq dernières années.
Mais Glasenberg et les autres auront du mal à influencer le cours de l'action. Le groupe fait en quelque sorte office de «méga-bancomat»: rien qu'entre 2019 et 2023, il a versé aux actionnaires 29 milliards de dollars en cash. L'argent provient des mines de charbon, qui rapportent beaucoup, mais ne reçoivent plus d'investissements notables.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker