Les chiffres sont considérables, même pour des groupes leaders mondiaux dans leur secteur. Le géant de la pharma Novartis promet d'investir 23 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années dans dix sites de production et de recherche américains existants, et sept nouveaux sites.
Le deuxième poids lourd bâlois de la branche est encore plus ambitieux. Roche a annoncé mardi qu'il allait investir 50 milliards de dollars aux Etats-Unis, sur la même période. L'entreprise entend ainsi bientôt exporter davantage des Etats-Unis qu'elle n'y exporte encore pour l'heure.
Ces annonces ont manifestement pour but d'éviter des droits de douane punitifs sur les médicaments. Donald Trump avait menacé à plusieurs reprises d'en introduire «très bientôt», également pour les médicaments suisses. Les investissements qui viennent d'être communiqués doivent donc être compris comme une réponse directe au président américain.
Thomas Schinecker, le CEO de Roche, a expliqué ses plans par le fait que le marché américain a toujours été un moteur pour l'emploi et l'innovation. Ces investissements jettent donc les bases pour une future croissance. Lors de la présentation des chiffres trimestriels, Thomas Schinecker a en outre souligné que les investissements avaient été prévus avec l'accord du Conseil fédéral. Il s'est entretenu avec des représentants du gouvernement américain, sans révéler à la presse le contenu de ces discussions.
Vas Narasimhan, a également lancé une opération séduction. Le patron de Novartis tente ainsi de flatter Trump et expliquant que la manne financière de son groupe – sans jamais mentionner les menaces de droits de douane – est encouragée par une politique américaine «favorable à l'innovation» et «l'environnement réglementaire» du pays.
Le président américain aime entendre ce genre de propos. Après tout, son objectif déclaré est de ramener des emplois et des industries prétendument perdus dans le pays. En y regardant de plus près, on s'aperçoit toutefois que beaucoup de ce que les entreprises vantent aujourd'hui comme une offensive américaine en matière d'investissements a déjà été pensé depuis longtemps.
Il y a trois ans déjà, Novartis s'était fixé pour objectif de passer de la dixième à la cinquième place des entreprises pharmaceutiques aux Etats-Unis. Des fonds avaient donc été réservés à cet effet.
Roche avait également inclus la construction d'une usine de thérapie génique déjà prévue, et d'un centre de recherche sur l'intelligence artificielle, pour un montant total de 50 milliards. Des dépenses de recherche et de développement sont de toute façon réalisées chaque année aux Etats-Unis, et sont également comprises dans ce montant. Il en va de même pour Novartis. Stefan Schneider, analyste pharmaceutique à la banque Vontobel, résume:
Ce qui est nouveau, c'est que les entreprises communiquent sur leurs projets destinés au marché américain. De manière générale, la pharma rechigne à donner des chiffres d'investissement sur les différents marchés. Stefan Schneider estime que les dépenses globales des deux groupes ne seront globalement pas plus élevées que prévu.
Les annonces tonitruantes et les grands chiffres feront-ils renoncer Donald Trump à ses droits de douane envers la pharma? «Il faut l'espérer, mais c'est sans garantie», déclare l'analyste. Stefan Schneider souligne à quel point il serait préjudiciable que le président américain fasse s'abattre le glaive des droits de douane sur la pharma après cette série d'annonces.
«Les entreprises ont maintenant besoin de suffisamment de temps pour mettre en œuvre leurs projets. Elles ne peuvent pas du tout dépenser judicieusement de tels montants à court terme», estime l'analyste de la banque Vontobel.
Selon lui, si le président américain devait malgré tout imposer des droits de douane au secteur, des problèmes surviendraient dans les chaînes d'approvisionnement des médicaments, ce qui pourrait être dangereux pour les patients – et entraînerait certainement des mouvements de cours plus importants sur les bourses.
En tout cas, le secteur élabore des scénarios pour le cas où Trump ne reviendrait pas à la raison. Roche n'a pas seulement augmenté ses stocks aux Etats-Unis et en Chine, il a également analysé quels médicaments fabriqués jusqu'à présent à l'étranger seraient les plus touchés par les taxes d'importation américaines. Selon le CEO de Roche Thomas Schinecker, il s'agit de quatre produits, dont il n'a toutefois pas voulu donner le nom.
Entre-temps, il aurait été fait en sorte que trois de ces médicaments puissent être entièrement fabriqués aux Etats-Unis. Comme le taux d'utilisation des usines Roche aux Etats-Unis n'est que de 50%, «nous sommes en bonne position pour le faire», a déclaré Schinecker. Pour le quatrième médicament, le transfert de connaissances pour le réaliser a récemment commencé.
La menace d'un chaos douanier n'est pas la seule cause d'agitation dans le secteur de la pharma. La détermination des prix des médicaments fait également parler d'elle. Les consommateurs américains paient actuellement leurs médicaments trois fois plus cher que dans des pays comparables.
Ce qui peut réjouir les fabricants est une épine dans le pied du président américain. Son gouvernement travaille actuellement à réformer le système des prix afin qu'ils baissent, par exemple en introduisant des tarifs de référence. C'est ce qu'a rapporté l'agence de presse Reuters mardi. Un observateur évoque ainsi une «menace existentielle pour l'industrie pharmaceutique».
Les prix sont beaucoup plus élevés aux Etats-Unis, car ce n'est pas une autorité publique qui négocie les prix avec les fabricants, mais des milliers d'acteurs différents. Leur pouvoir de négociation est donc très faible. Selon l'industrie pharmaceutique, les prix plus élevés aux Etats-Unis font que les patients ont accès beaucoup plus rapidement à de nouveaux médicaments.
Le patron de Novartis vante également de tels avantages. Alors que Donald Trump veut réduire les coûts, Vas Narasimhan ont loué l'exemple des prix américains. Dans une lettre, lui et le patron de Sanofi, Paul Hudson, ont appelé la Commission européenne à rapprocher les prix des médicaments européens du niveau américain. Car des prix plus bas dans l'Union européenne limiteraient «artificiellement» la croissance de la pharmacie sur le Vieux continent, écrit Vas Narasimhan.
Cette revendication circule depuis des années. Maintenant que l'Europe est au bord d'une guerre commerciale et que des milliards s'écoulent en direction de l'Amérique, l'industrie pharmaceutique profite de l'occasion. Elle prévient que sans réforme des prix, les entreprises européennes pourraient partir.
Trump n'est pas le seul à maîtriser le jeu des menaces. Il est peu probable que la Commission européenne, dirigée par Ursula von der Leyen, s'y laisse prendre.
Traduit de l'allemand par Joel Espi