Le Conseil fédéral avait déjà fait le premier pas en introduisant l'impôt complémentaire national, qui garantit que les grandes entreprises suisses paient au moins 15% d'impôts – et respectent ainsi les normes fiscales fixées par le club des pays industrialisés OCDE. Le gouvernement, sous la houlette de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, fait maintenant un deuxième pas et introduit, début 2025, le premier des deux impôts complémentaires internationaux.
Cela signifie que la Suisse pourra, à l'avenir, réclamer la différence d'impôt aux filiales de groupes suisses à l'étranger qui doivent y verser moins de 15%. Et elle le fera, car il s'agit tout de même de recettes allant de 500 millions à 1 milliard de francs, même si les calculs de l'Administration fédérale des contributions restent «sujets à de grandes incertitudes», comme elle le reconnaît elle-même. Sur cette somme, 125 à 250 millions devraient alors revenir à la Confédération et 375 à 750 millions aux cantons, conformément à la clé de répartition prévue par la Constitution.
Ce sont des recettes supplémentaires qui s'ajoutent aux recettes fiscales de 1 à 2,5 milliards de francs qui, selon les estimations, devraient être versées dans les caisses de la Confédération et des cantons grâce au seul impôt complémentaire national pour les grandes entreprises dont le chiffre d'affaires atteint ou dépasse 750 millions d'euros.
Le Conseil fédéral justifie l'introduction de la première règle internationale de prélèvement par le fait que la Suisse pourrait sinon perdre jusqu'à un milliard de francs de substance fiscale supplémentaire au profit d'Etats étrangers, notamment tous ceux qui introduiront la deuxième règle de prélèvement en 2025. Et à l'heure actuelle, ils sont nombreux à le faire: la grande majorité des Etats membres de l'UE ainsi que le Royaume-Uni, le Canada et l'Australie en font partie.
En effet, grâce à cette deuxième règle de prélèvement, d'autres pays ayant des sociétés appartenant à des groupes suisses peuvent alors réclamer la différence d'impôt non perçue par des pays tiers. Tout ce dont ces pays ont besoin, c'est d'une filiale du groupe suisse en question sur leur territoire. Et comme la plupart des holdings et groupes suisses ont également un siège dans un pays de l'UE, le danger est réel.
Et c'est ainsi que les associations économiques suisses qui, il y a un an encore, s'étaient insurgées contre l'introduction de l'impôt complémentaire national, font cette fois preuve de compréhension: «l'économie peut soutenir cette décision», dit-on par exemple chez Economiesuisse. Mais l'organisation faîtière aurait souhaité que le Conseil fédéral attende la fin de l'automne, compte tenu des «incertitudes sur l'avancement du projet de l'OCDE». Et elle demande que la Suisse annule «tout ou partie de l'impôt minimal» si la mise en œuvre devait être bloquée au niveau international.
Le paquet de mesures fiscales minimales de l'OCDE, qui vise à réduire à néant les stratégies d'optimisation fiscale démesurées des entreprises internationales, est un projet qui a été imposé à la Suisse par l'étranger. Il a néanmoins été accepté en votation populaire, en juin 2023, à 78,5%. Lors de la campagne de votation, Karin Keller-Sutter et les associations économiques ne se sont jamais lassées de dire que seul un oui à l'impôt minimum de l'OCDE permettrait de garder l'argent en Suisse.
Néanmoins, la Suisse renonce pour l'instant à l'introduction de la deuxième règle internationale de prélèvement – même si cela signifie qu'elle pourrait passer à côté d'une brouette de millions supplémentaires. Les risques qui y sont liés dépasseraient les recettes potentielles, souligne le Conseil fédéral. Le professeur René Matteotti de l'Université de Zurich, qui a rédigé une expertise à la demande du Conseil fédéral, constate que la deuxième règle devrait avoir «peu d'importance sur le plan fiscal». Il estime néanmoins que les risques sont considérables – sur le plan juridique, mais aussi sur celui de la politique d'implantation.
Ainsi, son attractivité en tant que lieu d'implantation de sociétés intermédiaires de grands groupes mobiles pourrait diminuer, ce qui pourrait potentiellement entraîner une baisse des recettes fiscales, écrit René Matteotti dans son expertise. Sans cette règle, elle pourrait même renforcer son statut de lieu de holding pour les grands groupes en Europe.
Le Département des finances de Karin Keller-Sutter promet de «continuer à suivre de près» les développements internationaux concernant la mise en œuvre de l'imposition minimale de l'OCDE. Le dernier chapitre de ce roman fiscal n'est en tout cas pas encore écrit.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci