Vous ne connaissez probablement pas le nom de cette entreprise soleuroise, mais tout Suisse a déjà tenu un produit de Cartaseta en main. Avec Tela, près de Soleure, il s'agit de la seule usine en Suisse à produire des papiers hygiéniques, comme les serviettes, le papier toilette, le papier ménage ou encore les mouchoirs en papier.
Difficile d’éviter leurs produits: tous les grands distributeurs en sont clients, et via des intermédiaires ou directement, Tela et Cartaseta fournissent l’hôtellerie, l’industrie, les hôpitaux, la Confédération et les cantons. «Même le Palais fédéral», raconte Roberto Todaro, directeur général des deux entreprises, lors d’une visite à l’usine soleuroise.
Au total, 220 employés travaillent à Niederbipp (BE), 120 à Gretzenbach (SO). Si le nom de l’entreprise est peu connu, c’est parce que la production pour les particuliers se fait majoritairement pour les marques de distributeurs. A l’exception de Tela, peu de produits portent leur propre marque.
Sur le grand site de Gretzenbach, à côté de la centrale nucléaire de Gösgen (SO), la cellulose est stockée avant d’être transformée en papier dans l’usine. La machine à papier est imposante et bruyante. Elle a été mise en service en 1982 et modernisée entre 2000 et 2009. «Les machines à papier peuvent durer jusqu’à 80 ans», indique Roberto Todaro. Les machines tournent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Sur les quelque 160 000 tonnes de papier hygiénique consommées chaque année en Suisse, Cartaseta et Tela en produisent 74 000.
A l’usine, la machine à papier produit de grands rouleaux, appelés «rouleaux-mères». Une autre machine colle les couches et découpe les rouleaux. Anecdote pour les consommateurs: les motifs imprimés sur le papier n’ont pas de fonction marketing; ils permettent simplement à la colle de maintenir les couches ensemble. Appliquer de la colle sur toute la surface serait inefficace à cause de la capacité d’absorption du papier.
Actuellement, du papier toilette double épaisseur est en production – un produit en voie de disparition, selon le directeur général. Les Suisses ont des exigences élevées et préfèrent un papier de haute qualité à la maison, ce qui pousse le secteur professionnel à s’adapter. Dans un restaurant ou un hôtel, les clients attendent souvent la même qualité que chez eux. Tela produit du papier hygiénique avec jusqu'à six couches.
Autrefois, l’industrie papetière était un secteur important dans le canton de Soleure. Bien que certaines entreprises, comme la fabrique de papier de Biberist ou la cellulose d’Attisholz, aient disparu, «le canton reste un bastion de l’industrie du papier suisse», souligne Roberto Todaro. Des entreprises comme Model à Niedergösgen (fabricant de carton ondulé), Swiss Quality Paper à Balsthal, ou Bourquin à Oensingen (producteur de cartons) en sont les symboles.
Comment Tela et Cartaseta ont-elles réussi à rester compétitives malgré les salaires suisses et les faibles marges? C'est parce que les rouleaux de papier toilette et de ménage sont encombrants, ce qui alourdit les coûts logistiques.
Pour leurs concurrents, transporter des rouleaux de papier sur des centaines de kilomètres n’est pas rentable. La concurrence se situe donc près de la frontière, en Allemagne, en Alsace et en Italie du Nord.
Ces dernières années, la famille allemande propriétaire de Cartaseta a renforcé sa position en Suisse: en 2021, elle a repris l’usine Tela à Niederbipp, qui faisait face à un avenir incertain. Le géant mondial Kimberley Clark envisageait de fermer ce site suisse, jugé trop coûteux.
Pourquoi les propriétaires de Cartaseta ont-ils décidé de racheter Tela? Roberto Todaro explique que, pour le grand groupe, Niederbipp était juste un site parmi d’autres. En revanche, Cartaseta s’était déjà concentrée depuis longtemps sur le marché suisse, avec un taux d’exportation passé de 80% à 20%.
L'entreprise offre en effet des produits comme des serviettes et mouchoirs tout en restant proche et réduit les distances de transport.
En matière de durabilité, autre pilier de la stratégie de Cartaseta avec l’aspect «Swissness», le rachat de Tela s’inscrit bien dans la démarche de la société. A Niederbipp, le papier recyclé (43 000 tonnes par an) est revalorisé pour les deux entreprises. Le circuit de l’eau est fermé, la boue incinérée, et la chaleur résiduelle réutilisée, une partie étant même redirigée vers des serres voisines.
Depuis longtemps pionnières en matière de recyclage, ces entreprises ont su relever le défi de produire un produit homogène malgré la variabilité du papier recyclé, réutilisable jusqu’à sept ou huit fois.
La centrale nucléaire de Gösgen domine l’horizon, visible depuis chaque point du site. Pour leur production, les usines utilisent la vapeur de la centrale. Grâce à des contrats à long terme, les augmentations des coûts énergétiques ont été atténuées, mais le prix des matières premières a grimpé, en partie en raison de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Celle-ci a aussi engendré un manque de chauffeurs, augmentant les coûts logistiques.
Roberto Todaro anticipe une hausse des prix des matières premières, mais reste optimiste.
En 20 ans, près de 55 millions de francs ont été investis. «Nous sommes financés à 100% sur fonds propres», souligne le directeur général de Tela et Cartaseta.
D’ici 2026, une installation pour le traitement des rouleaux sera remplacée pour un coût de 10 millions de francs. La Suisse devrait donc rester bien approvisionnée en papier toilette – sauf si une nouvelle pandémie entraîne une ruée vers les rayons. «Pendant la pandémie, les commandes ont quadruplé», se souvient Roberto Todaro. «Nous n'avons que réussi à doubler la production.»
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder