La Bourse se trouve aujourd'hui dans une situation que l'économiste vedette Paul Krugman n'hésite pas à comparer à une personne piégée dans une relation abusive:
Dernière démonstration de cette relation toxique? Lorsque le président américain a exigé la «destitution» du président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, le qualifiant de «grand perdant». Un jour plus tard, il affirmait qu’il n’avait «pas l’intention de renvoyer Powell».
L'une des preuves, nombreuses, qu'il n'y a aucune rationalité chez Trump. Mais il n'en fallait pas plus pour que la Bourse s'envole, comme toujours lorsque le milliardaire dit une chose un jour et son contraire le lendemain. Paul Krugman recommande ainsi d'ignorer la Bourse et de se concentrer sur l'économie réelle.
Un sinistre présage qui concerne non seulement les Etats-Unis, mais aussi la Suisse.
C’est de manière chaotique que Donald Trump a imposé de nouveaux droits de douane lors de son «Jour de la libération», le 2 avril dernier. Ceux-ci ont été calculés selon une «méthode Mickey Mouse», selon les économistes, produisant arbitrairement des tarifs: 31% contre la Suisse, 10% contre les îles Pingouin.
Selon le Wall Street Journal, la façon dont Donald Trump a ensuite suspendu ces tarifs était tout aussi désordonnée. Pendant que la Bourse chutait, le président appelait sur les réseaux sociaux à tenir bon: «Ne soyez pas faibles! Ne soyez pas stupides!»
Une recommandation que n'ont pas suivi son secrétaire au Trésor, Scott Bessent, ni son ministre de l’Economie, Howard Lutnick, qui ont cédé à la panique. A la perceptive d'un krach boursier imminent, les deux hauts responsables ont tenté d'avertir Donald Trump. C'était sans compter sur Peter Navarro, le conseiller commercial pro-tarifs et influent auprès du chef de l'Etat, qui rôdait constamment dans le Bureau ovale.
Profitant d’une réunion de Peter Navarro ailleurs dans la Maison-Blanche, Scott Bessent et Howard Lutnick se sont précipités chez le président, décidés à ne pas repartir tant qu’il n’aurait pas annoncé une suspension des tarifs.
Donald Trump est entouré de «oui-à-tout», des collaborateurs rivalisant de flatteries. Lors d’une réunion ministérielle, on a entendu:
Ou encore:
Les mêmes louanges ont fusé après la suspension des tarifs. Selon Scott Bessent, c'était «le plan dès le départ». Isoler la Chine et la rendre seule responsable de la souffrance des travailleurs américains. Le conseiller Stephen Miller a parlé de la «plus grande stratégie de maître d’un président américain dans l’histoire».
La Bourse s’est envolée.
Cependant, même les tarifs actuels de 10% contre la Suisse et l’UE restent bien plus élevés qu’auparavant. Donald Trump a imposé des tarifs encore plus élevés contre le Mexique, le Canada et la Chine – jusqu’à 145%. Selon le Budget Lab de l'université Yale, les Etats-Unis appliquent désormais des droits de douane moyens de 28%, soit près de douze fois plus qu’avant. Pour retrouver un niveau similaire, il faut remonter à 1901.
Après des décennies de libre-échange, ériger ainsi un mur tarifaire autour de la plus grande économie mondiale constitue une rupture historique – et ce n’est qu'un des nombreux ingrédients d’un cocktail explosif: coupes budgétaires désordonnées dans l’administration et la recherche publique par Elon Musk, attaques contre les avocats et les universités, expulsions illégales, et quasi-arrêt de l'immigration de main-d’œuvre.
Selon l’université de Yale, les nouveaux tarifs vont, à eux seuls, augmenter le niveau général des prix de 3% et coûter environ 4900 dollars par ménage américain. Les consommateurs le constateront bientôt dans les rayons de Walmart, Target et Home Depot.
Les dirigeants de ces trois géants du commerce de détail, rompant avec les flatteries adressées à Donald Trump, ont alerté sur la hausse des prix et même sur des pénuries de produits. On observe déjà dans le port de Los Angeles, principale porte d’entrée des importations asiatiques, une chute du trafic rappelant les confinements de la pandémie de Covid.
Le Fonds monétaire international (FMI), habituellement prudent, met en garde contre un «net ralentissement». Selon des enquêtes, les entreprises signalent des commandes en chute libre et une situation des affaires aussi mauvaise qu’en pleine crise financière de 2008.
En période de récession, la Bourse révèle les faiblesses cachées. L’investisseur Warren Buffett l’a résumé ainsi: «C’est seulement quand la mer se retire qu’on voit qui nageait sans maillot.»
Elon Musk pourrait bien être l’un de ces «nageurs nus». Malgré une forte baisse, Tesla reste extrêmement valorisée en Bourse – quatre fois plus, par rapport aux bénéfices, qu'Amazon, Apple ou Microsoft. Cette valorisation ne serait justifiée que si les profits de Tesla croissaient durablement – sans le moindre incident.
Un professeur de Harvard a décrit Musk dans le New York Times comme le produit d'un «statut messianique» et d'un «culte financier d'investisseurs aveuglés». En récession, les ventes de Tesla pourraient chuter, entraînant avec elles la foi dans Musk, sa fortune et son pouvoir.
La Banque nationale suisse (BNS) a abaissé en mars son taux directeur à 0,25%. Prochaine décision en juin. Karsten Junius, chef économiste chez Safra Sarasin, indique que les marchés anticipent une nouvelle baisse du taux – d’abord à 0% en juin, puis peut-être en territoire négatif au second semestre.
Cette perspective s'explique par les sombres prévisions pour l’économie américaine:
On observe déjà ces attentes sur les obligations d'Etat suisses à deux ans, dont les rendements ont plongé cette semaine bien en dessous de zéro – atteignant leur niveau le plus bas depuis la période de taux planchers post-Covid. Le phénomène des taux négatifs est donc de retour. Si cela se confirme, les taux hypothécaires baisseraient encore, stimulant encore davantage les prix de l’immobilier.