Il était là, ce mercredi, dans le Bureau ovale. Presque effacé, silencieux. Planqué dans le dos de Donald Trump, lorsque celui-ci s'empare de son iPhone pour annoncer sa décision choc de suspendre ses tarifs douaniers. Un sursis de 90 jours.
Lui, c'est Scott Bessent. Le secrétaire au Trésor. L'un des deux visages, avec celui du secrétaire au Commerce Howard Lutnick, du plan tarifaire qui fait paniquer la planète.
Si son nom a été articulé parmi les premiers pour briguer le poste de secrétaire au Trésor, en novembre dernier, le monde n'a vraiment découvert la tête de ce personnage discret qu'il y a dix jours, sur un plateau télévisé. Un financier expérimenté, mais gêné, bien en peine d'expliquer ce que peuvent bien vouloir dire ces taux de taxes apparemment illogiques, décrétés un peu plus tôt dans la roseraie de la Maison-Blanche.
COLLINS: China has this 34% tariff. There were already 20% tariffs on China. So is that 34% on top of that, meaning it's a 54% tariff on China?
— Aaron Rupar (@atrupar) April 3, 2025
BESSENT: I believe it is pic.twitter.com/fFMB7bqCrP
Pas faute pour Scott Bessent d'être une pointure. Un pur produit de Wall Street, où il s'est spécialisé dans l'investissement macroéconomique auprès du milliardaire George Soros et où il a fondé son propre fonds spéculatif, Key Square, spécialisé dans la prévision des mouvements de marché à grande échelle, grâce à des informations économiques et géopolitiques.
Un homme qu'on dit également «réservé» et s'est fait une réputation pour ses déclarations économiques obscures. Mais, surtout, pour ses paris financiers audacieux.
Donald Trump, par exemple, Scott Bessent l'a vu venir très vite. Lui qui a soutenu des candidats divers et variés (Al Gore, Hillary Clinton, Barack Obama) avait déjà appuyé la première campagne Trump à coups de millions de dollars en 2016.
Huit ans plus tard, en pleine campagne de réélection et malgré toutes les poursuites judiciaires qui collent aux basques du candidat républicain, Scott Bessent n'hésite pas une seconde à miser à nouveau sur son poulain. Intimement persuadé, comme une action qui grimpe malgré les mauvaises nouvelles, que sa cote finira par s'envoler.
Pari gagnant. Donald Trump, que Scott Bessent décrit comme un «cygne orange» - un clin d'oeil aux «cygnes noirs», ces évènements qui influencent les marchés de manière inattendue - remportera l'élection, défiant les pronostics pessimistes de la plupart des sondeurs et analystes.
Bien récompensé pour sa fidélité, l'un des «rares de Wall Street» à avoir soutenu pleinement Donald Trump a été érigé au rang de l'un des plus hauts responsables des Etats-Unis, avec pour noble mission de maintenir à flot la plus grosse économie du monde.
Rien qui n'impressionne trop cet élégant sexagénaire («l'un des hommes les plus brillants de Wall Street», «respecté de tous» et, qui plus est, «bel homme» selon les mots de son propre patron). Lui qui a grandi dans une petite ville de Caroline du Sud, auprès d'une maman femme d'affaires mariée à cinq reprises - dont deux avec son père.
Un père investisseur immobilier dont la faillite, à cause de mauvais investissements immobiliers, a bouleversé l'équilibre familial et poussé le jeune Scott à trouver son premier job d'été à l'âge de 9 ans.
Ouvertement homosexuel, il envisagera brièvement d'intégrer l'Académie navale américaine, avant de renoncer pour ne pas mentir sur son orientation sexuelle. Il lui préférera l'université de Yale et une fructueuse carrière dans la finance.
Bien lui en a pris. Aujourd'hui marié à l'ancien procureur de New York, John Freeman, et père de deux enfants, Scott Bessent est à la tête d'une petite fortune estimée à plusieurs centaines de millions de dollars. Le couple vit dans le «Palais rose», une bâtisse historique de Charleston qu'ils ont rénovée à grands frais.
Difficile de savoir si ce financier aux 35 ans d'expérience en a mené large, face à l'impétueux Donald Trump, ces derniers jours. Même s'il assure que la suspension des tarifs douaniers annoncée mercredi soir était une «stratégie depuis le début», la plupart des collaborateurs sont encore sonnés par ce revirement inattendu.
Le secrétaire au Trésor était en tout cas aux premières loges pour assister au premier «clignement d'yeux» du président américain, après une semaine à maintenir le cap sur ses droits de douane.
Au milieu d'une petite équipe commerciale formée de Peter Navarro, conseiller et fervente pom-pom girl des droits de douane, et d'Howard Lutnick, secrétaire d'Etat au commerce partisan d'une politique agressive, Scott Bessent a endossé le «rôle d'adulte dans la pièce», de pondérateur et défenseur d'une approche plus mesurée.
Encore un pari gagnant. Puisque c'est son opinion qui a pris de plus en plus de poids auprès de Donald Trump, au fil des derniers jours. «Il y a eu un changement dans l'ordre hiérarchique», remarque une source à l'agence Reuters.
Bien que, comme le note Stephen Moore, conseiller de longue date de Trump et économiste, mercredi, «le président est celui qui, en fin de compte, a modifié sa stratégie», il faut rendre à César ce qui est à César. «Je pense que c'est Scott qui a toujours essayé de s'opposer aux protectionnistes de la Maison-Blanche, qui pressaient toujours Trump d'aller plus loin dans les tarifs douaniers.»
C'est lors d'une «longue conversation» dimanche, dernier sur un vol reliant Mar-a-Lago à Washington, que Donald Trump se serait laissé convaincre par son secrétaire au Trésor d'adopter une approche plus structurée du conflit commercial et d'ouvrir des négociations avec les pays étrangers.
Avant même l'annonce de la relaxe, un allié glissait déjà à Politico cette semaine que Scott Bessent est «le meilleur messager» possible. «Il présente le message sous un jour plus positif, à savoir que nous pouvons conclure un accord ici qui aide l'Amérique, un accord avec nos alliés, et tourner la page.»
Une page pourtant loin d'être tournée. Ce qui n'empêche pas au monde entier de pousser un bref soupir de soulagement. Une longue inspiration collective à laquelle Scott Bessent aura contribué. Même si le véritable mérite, comme l'admettent en privé des conseillers, reviendrait surtout à la chute des marchés. Peut-être l'une des rares et dernières boussoles de Donald Trump.