La Suisse, pionnière de la voiture électrique en Europe? Une nouvelle analyse de l'Association suisse pour l'électromobilité, Swiss eMobility vient doucher cette vision. De la 6ᵉ place des pays ayant la plus forte proportion de voitures électriques en 2022, il a reculé, en 2023, à la 8ᵉ.
En termes de croissance du marché des voitures électriques, la Suisse n'occupait plus que la 13ᵉ place en 2023. De nombreux pays européens ont connu une progression nettement plus rapide. Le directeur de Swiss eMobility, Krispin Romang, s'attend à ce que la Suisse ne fasse bientôt plus partie du top 10 européen. Et ce, malgré son pouvoir d'achat élevé et le fait que le pays dispose d'un réseau de recharge public très bien développé. Mais pourquoi?
Une chose est claire: les pays scandinaves prennent de l'avance dans le tournant de la mobilité. En Finlande, par exemple, la part de marché a presque doublé, passant de 18 à 34% en un an. Au Danemark, elle est passée de 21 à 36%. La Norvège joue dans une ligue à part, avec une part de 82% de voitures électriques parmi les voitures neuves vendues.
En Suisse, la voiture électrique n'a progressé que modestement l'année dernière, passant de 18 à près de 21%. La croissance s'est donc quelque peu affaiblie par rapport aux années précédentes.
On ne peut toutefois pas parler de la fin du boom des voitures électriques en Suisse: «Rien qu'en 2023, on a immatriculé plus de voitures électriques qu'il n'y en avait en 2020 dans le parc», affirme Krispin Romang. La croissance est tirée «par l'offre croissante de voitures électriques et par l'un des meilleurs réseaux de recharge publics avec plus de 15 000 points de recharge». Il apparaît toutefois de plus en plus clairement que cela ne suffit pas.
En matière d'électromobilité, l'Europe se divise de plus en plus en trois blocs géographiques: «Un bloc scandinave (auquel il faut ajouter les Pays-Bas), un bloc d'Europe centrale (dans lequel la Suisse est désormais) et un bloc d'Europe du Sud et de l'Est, de l'Espagne à la Slovaquie», analyse Swiss eMobility.
Le graphique le montre: en 2023, les pays scandinaves (lignes vertes dans le graphique ci-dessus) se sont détachés. La Suisse (ligne noire) - encore tout juste dans le groupe de tête en 2022 - recule lentement dans la moyenne européenne. Cela s'explique notamment par le fait que des pays comme la Belgique ou l'Autriche progressent beaucoup plus rapidement. Cela s'explique par le fait que partout où la politique crée les conditions-cadres favorables, la voiture électrique est en plein essor.
«L'électrification de la propulsion ne va pas de soi», commente Krispin Romang. Il s'attend à ce que 2024 soit «une année de défis pour l'électromobilité.» D'autant plus que le prochain durcissement des objectifs en matière d'émissions de CO2 pour les voitures de tourisme n'entrera en vigueur qu'en 2025. Peter Grünenfelder, président d'Auto Suisse, est du même avis:
La situation se complique encore en Suisse. En effet, les amateurs de voitures électriques roulent pour la plupart déjà avec ce type de véhicule, il faut maintenant convaincre la grande masse.
Mais la question des coûts n'explique pas tout. En effet, les clients des autres pays sont également concernés par les coûts d'achat élevés et le prix croissant de l'électricité. Il doit donc y avoir des raisons plus spécifiques pour lesquelles les voitures électriques ne sont pas un succès en Suisse. Swiss eMobility attribue cette situation en premier lieu à l'absence de «droit à la recharge».
Le lobby des voitures demande depuis des années que les locataires et les propriétaires par étage aient un droit légal à installer leur propre borne de recharge, comme dans certains autres pays européens. Une motion en ce sens a échoué en 2023. Sans droit à la recharge, la voiture électrique reste peu attractive pour les locataires et la Suisse a l'un des taux de locataires les plus élevés au monde. Jusqu'à présent, ce sont surtout les propriétaires de maisons qui achètent des voitures électriques, car ils peuvent généralement les recharger confortablement chez eux.
Selon le baromètre actuel du TCS sur l'acceptation de la mobilité électrique, plus de la moitié des propriétaires de voitures électriques interrogés disposent d'une place de parc privée avec un raccordement électrique (53%). 14% peuvent charger leur voiture électrique (en plus) sur leur lieu de travail. 23% utilisent des stations de recharge accessibles au public à proximité immédiate de leur domicile.
En revanche, ceux qui ne peuvent pas le faire décident dans la grande majorité des cas de ne pas acheter de voiture électrique. En 2023, l'absence de borne de recharge à domicile était la principale raison pour laquelle 65% des personnes interrogées ont renoncé à acheter une voiture électrique.
En outre, la croissance des voitures électriques est fortement stimulée par les voitures de société. C'est pourquoi des pays comme l'Autriche ont exonéré les voitures électriques de l'impôt sur les voitures de fonction ou l'ont réduit afin de promouvoir l'électromobilité - ce qui n'est pas le cas de la Suisse.
En fin de compte, la Suisse est «loin derrière les attentes» en ce qui concerne le développement des compteurs intelligents, écrit Swiss eMobility. Les compteurs d'électricité numériques et en réseau sont une condition préalable aux réseaux électriques intelligents (Smart Grids) et au Vehicle to Grid, c'est-à-dire à la restitution du courant électrique des batteries des voitures électriques dans le réseau électrique public afin de le stabiliser.
Les compteurs intelligents sont donc un élément important pour mieux localiser les fluctuations de courant et pour la sécurité de l'approvisionnement. La lenteur du déploiement des compteurs intelligents entraîne un «manque de transparence concernant notre situation électrique» et a contribué à «faire peser une suspicion générale sur les voitures électriques dans tout le pays en cas de pénurie d'électricité», constate l'association de la mobilité électrique. Cela ne favorise pas non plus la croissance de la mobilité électrique.
Malgré tout, les voitures à combustion n'ont pas d'avenir à long terme en Europe. La voiture électrique s'impose. Au vu du nombre d'immatriculations, il n'y a plus aucun doute à ce sujet.
Les constructeurs automobiles se sont tournés vers la voiture électrique, les prix des matières premières pour les batteries baissent et plusieurs modèles «abordables» de l'ordre de 25 000 francs seront commercialisés dès cette année. Cela est notamment rendu possible par des batteries lithium-phosphate de fer moins chères.
Les batteries LFP sans cobalt fournissent certes, à masse égale, une autonomie légèrement inférieure à celle des batteries lithium-ion conventionnelles, mais elles sont plus écologiques, moins sensibles aux incendies et permettent surtout une durée de vie plus longue.