C'est donc à Mar-a-Lago, dans un environnement qui convient à l'ancien président, avec ses dorures, ses volumes impressionnants, son luxe, et devant quelques invités triés sur le volet et tout acquis à sa cause, que Donald Trump a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle américaine de 2024.
Cette annonce, présentée par l'intéressé comme «le plus grand discours de toute l'histoire des États-Unis», a pourtant le goût d'amertume de certains produits périmés.
Le 45e POTUS (réd: President of the United States) a eu beau affirmer qu'il allait rendre l'Amérique de nouveau grande et glorieuse, lançant à cette occasion le curieux slogan MAGAGA (Make America Great and Glorious Again), et affirmer que sa victoire «sera construite sur de grandes idées, des ambitions audacieuses et des rêves audacieux pour l'avenir de l'Amérique».
Il semblait le savoir lui-même: tout cela ne le mènera nulle part. Pour plusieurs raisons, qui ont trait à la fois au timing de cette déclaration, à son âge, à son isolement au sein du Parti républicain ou encore à l'émergence d'adversaires qui paraissent bien placés pour le devancer.
Comment aurait-il pu choisir un pire moment pour faire son annonce? La bonne stratégie est de se présenter le dernier au départ de la course, en laissant les adversaires s'épuiser et en se posant en recours, après avoir bien observé les autres et relevé toutes leurs faiblesses. C'est ce qu'il avait fait en 2015, avec le succès que l'on sait.
Cette fois-ci, en se décidant deux ans avant le scrutin, Donald Trump a donné l'avantage à ses adversaires pour les primaires républicaines, qui ne vont pas manquer de prendre leur temps et de lui compliquer la tâche, l'air de rien. L'entrée en lice des uns et des autres diminuera d'autant, chaque fois, l'impact de la candidature Trump, qui cédera un point par-ci, trois points par-là, jusqu'à ce qu'un de ses concurrents apparaisse comme plus crédible pour la victoire.
Le discours moribond, prononcé d'une voix monocorde à la lecture pénible d'un prompteur a fait bondir cette évidence au premier plan: Donald Trump a vieilli. Il est même aussi vieux que l'était Joe Biden lorsqu'il avait annoncé sa candidature pour 2020. Trump l'avait alors moqué pour son âge, une idée largement reprise par ses supporters à coups de «Sleepy Joe», qui s'est décliné en «sénile» depuis la défaite de 2020.
Enfin, Trump ne peut aujourd'hui guère compter sur l'appui de la machinerie nationale du Parti républicain. C'est un point que l'on pourrait penser sans importance, puisqu'il n'était soutenu par personne en 2015, ce qui ne l'avait pas empêché de triompher.
Pourtant, il se présente cette fois-ci comme un ancien président et l'absence de soutien n'est plus synonyme d'une défiance face à un inconnu: elle révèle qu'il a été incapable de créer un réseau solide derrière lui, qui croit en sa victoire au point de faire campagne à ses côtés. Or c'est bien ce dont il a besoin pour vaincre le camp démocrate, qui a repris les rênes.
Bien entendu, les fans «MAGA», les plus impliqués, les plus engagés, sont toujours là. Mais ce n'est pas suffisant pour faire un gagnant. La force de Trump avait été de faire revenir devant les urnes une population qui ne votait plus. Ceux-là rêvaient d'un champion capable de renverser la table et doté d'une poigne de fer pour faire face à leurs «ennemis». Car ils imputent au camp d'en face toutes les difficultés qu'ils traversent, au point de finir par croire qu'ils sont effectivement dans une guerre totale.
Mais les meetings de Donald Trump se sont vidés: de 30 000 il y a deux ans, l'ancien président ne pouvait guère plus réunir plus de 2 000 à 3 000 personnes ces derniers mois.
Pis encore: les sondages ne cessent d'indiquer qu'ils ne sont plus que 30 à 34% au sein de parti républicain à souhaiter son retour et la moitié d'entre eux ne le souhaite pas. Cela ne veut pas dire qu'ils ne l'aiment plus; juste qu'ils attendent autre chose.
C'est une difficulté majeure pour le candidat Trump: il a cette fois un bilan. Bon ou mauvais, on trouvera les deux avis et la discussion tournera en rond.
Mais ce qui est indubitable, c'est que ce bilan l'emprisonne. En 2016, il était un homme totalement neuf et rien ne pouvait lui être opposé, car il répondait invariablement qu'il allait réussir. Les fantasmes et les projections ont donc fait leur œuvre: ses futurs électeurs y croyaient. Et ils en rajoutaient même par rapport à ce qu'il disait, annonçait ou promettait.
Et s'il a un bilan, dans lequel ses concurrents ne manqueront pas de piocher pour le mettre en difficulté, il n'a en revanche pas de programme. C'est bien un des points qui pose un problème réel et de fond. Au cours des deux dernières années, Donald Trump n'a eu qu'un seul élément de programme:
Or la contreperformance du camp républicain aux midterms est principalement due à cette absence de perspective concrète: en ancrant cette stratégie dans l'esprit de ses sympathisants, Trumps les a coupés de ceux qui attendent des politiciens qu'ils apportent des réponses à leurs problèmes. Fort de ce constat, le programme a semble-t-il été rajouté au dernier moment à sa déclaration de candidature: c'est un copié-collé de celui de 2016. Mais on n'est plus en 2016.
Il a beau tenter de faire l'impasse sur cette maudite journée du 6 janvier 2021, Donald Trump sera rattrapé par elle sans arrêt. Il est déjà dans les livres d'histoire pour une tentative d'insurrection, après avoir affronté deux procédures d'impeachment. Ces taches sont indélébiles et vont teinter sa campagne, qu'il le veuille ou non. Il sera donc contraint de se poser encore et encore en victime et ne pourra jamais décoller.
Il est évident aussi que ses liens avec les groupes d'extrême droite — les Proud Boys, les Oath Keepers, le Ku Klux Klan et d'autres encore — vont hanter les prochains mois. Sa proximité avec le groupe QAnon, dont il ne peut plus désormais se passer, clouera son positionnement dans la droite la plus dure et la plus dangereuse, repoussant les indépendants à l'opposé de lui.
Tout le monde, enfin, a compris que la raison de sa déclaration de candidature très prématurée est d'hystériser le débat et d'allumer un contre-feu puissant lorsque le glaive de la justice s'abattra sur lui.
... les ennuis judiciaires de Donald Trump sont colossaux et on voit mal comment il pourrait désormais échapper à une sanction, qui n'exclut pas une peine de prison.
Rien ne dit que cette stratégie fonctionnera, car les électeurs ont déjà rejeté son jusqu'au-boutisme lors des midterms 2022 en se détournant largement des candidats qu'il avait ouvertement soutenus.
La donnée nouvelle, à laquelle Donald Trump ne s'attendait pas, c'est que le désamour à son égard se traduit par la recherche de remplaçants: la brusque mise sous les projecteurs de Ron DeSantis, dès le lendemain des midterms, a fait éclater la bulle Trump.
Aussitôt, ils ont été nombreux à chercher à prendre la lumière à leur tour: Ted Cruz, Mike Pence, Lindsey Graham, Kristi Noem, Glenn Youngkin, Nikki Haley, Tim Scott, pour ne citer que les plus en vue, qui ne veulent pas laisser le champ libre aux autres et qui se cherchent encore une stratégie et un chemin pour se lancer.
En 2016, lors des primaires républicaines, Donald Trump était le chasseur. En 2024, en sa qualité d'ancien président, il sera le puissant à abattre. Difficile de parier un dollar sur sa victoire?
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original