A première vue, ce sont des navires habituels. Mais ces bateaux russes, qui naviguent sous pavillon civil et sont enregistrés comme navires de pêche, marchands ou même scientifiques sont impliqués dans des activités d'espionnage militaire.
C'est la conclusion d'une enquête au long cours de plusieurs journalistes scandinaves. Selon eux, la Russie a préparé des actes de sabotage contre des éoliennes, des gazoducs et des câbles sous-marins, notamment au Danemark. Les pays scandinaves se disent prêts à faire face à la menace. Et ils ne sont pas seuls: l'Otan se prépare également à agir.
Ces dernières années, un programme militaire secret a permis à la Russie de cartographier les parcs éoliens offshore, les gazoducs ainsi que les câbles électriques et Internet des eaux entourant le Danemark, la Norvège, la Finlande et la Suède.
C'est la conclusion à laquelle est parvenue une équipe de journalistes scandinaves en avril dernier. Ils travaillent pour des chaînes de radio et de télévision publiques au Danemark, en Norvège, en Suède et en Finlande et s'étaient associés pour mener cette enquête.
Durant plusieurs mois, ces journalistes ont mené l'enquête sur les côtes et en pleine mer, ont eu accès à des conversations radio et aux données de localisation de navires et se sont entretenus avec les services secrets et des experts indépendants. Ils disent avoir découvert un programme militaire d'une importance capitale qui indique que la Russie se prépare à «un conflit majeur avec l'Occident».
C'est en mer du Nord que nos enquêteurs ont commencé leur enquête. Là-bas, la Russie exploite une flotte de navires civils — en théorie. Mais ce qui ressemble à des chalutiers et des navires de recherche scientifique transportent en fait des équipements militaires de surveillance sous-marine et cartographie des endroits stratégiques. Le but? Préparer d'éventuels actes de sabotage.
Avec l'aide d'un agent de renseignements à la retraite, les journalistes retrouvent la trace du «navire de recherche» russe Admiral Vladimirsky. Ce bateau naviguait depuis des mois dans les eaux nordiques, en gardant son système d'identification par satellite désactivé la plupart du temps.
Les journalistes mettent la main sur des communications radio, interceptées, de la marine russe. L'analyse des données indique précisément les déplacements de ces «vaisseaux fantômes» dans les eaux nordiques.
Une équipe de tournage danoise réussit à repérer la position du fameux «navire de recherche». Alors qu'elle s'approche avec un petit bateau à moteur, des hommes masqués, armés de fusils d'assaut, apparaissent sur le pont. Ils rebroussent chemin. Ces évènements ont eu lieu en avril dernier.
L'Amiral Vladimirsky n'est pas le seul navire à effectuer des missions militaires de reconnaissance ou de renseignement: en l'espace de dix ans, 50 navires russes ont été repérés à cause de leurs déplacements suspects qui les conduisaient au-dessus de champs de pétrole et de gaz ainsi qu'à proximité d'exercices de l'Otan.
Non.
Les Etats scandinaves, baltes et du nord de l'Europe ne sont pas les seuls menacés par les agissements russes. Le Royaume-Uni et d'autres pays continentaux de l'Europe sont aussi concernés: en automne 2022, un navire de la marine russe a été observé près de parcs éoliens offshore et d'autres infrastructures critiques au large de la Belgique et des Pays-Bas. Les services de renseignement estiment qu'il s'agissait de l'Admiral Vladimirsky.
La situation ne s'est pas détendue, bien au contraire. Rien que mercredi dernier, l'ex-président russe Dmitri Medvedev a menacé de détruire les câbles sous-marins reliant l'Europe et les Etats-Unis. Ceci en réaction à des informations indiquant que les attaques contre les pipelines Nord Stream auraient été menées par l'Ukraine — et que les services secrets occidentaux auraient été informés à l'avance du projet.
Le vice-président du Conseil de sécurité nationale russe a partagé le message de Medvedev sur son canal Telegram. Il convient de noter que l'ex-président russe tente régulièrement de marquer des points auprès des ultranationalistes et des bellicistes russes avec ce genre de menaces publiques.
Ce n'est pas tout. L'expert naval britannique H. I. Sutton a récemment souligné que la Russie préparait des fortifications au sein d'une importante base navale de l'Arctique: Olenya Guba (la baie des cerfs) est une base secrète de sous-marins située sur la péninsule de Kola, dans le cercle polaire arctique, proche de la frontière avec la Finlande et la Norvège.
La raison de ces préparatifs n'est pas claire. Le but n'est en tout cas pas de se protéger de l'Ukraine, située à des milliers de kilomètres de là.
Olenya Guba abrite, selon les spécialistes, la flotte GUGI: ce sigle signifie Glavnoye upravlenie glubokovodnikh issledovanii: la Direction principale de la recherche en eaux profondes. C'est-à-dire: une branche secrète de la marine. On y trouve des vaisseaux spécialisés dans la guerre des fonds marins («seabed warfare»), c'est-à-dire dans les missions d'attaque et de défense à plus de 200 mètres de profondeur. Ces sous-marins à propulsion nucléaire disposent notamment d'une coque protectrice en titane.
Les fortifications mises en place autour d'Oleny Guba consistent notamment en des barrières de défense sous-marines. Selon Sutton, cela pourrait signifier que Moscou craint de voir des sous-marins ennemis — particulièrement: américains — infiltrer sa base. Pour quoi faire? Le site abrite le fameux navire-espion Yantar, soupçonné d'avoir mené des opérations sur des câbles Internet en eaux profondes.
L'alliance de défense nord-atlantique compte bien réagir. Elle veut assurer une meilleure protection des pipelines et autres infrastructures critiques dans les mers grâce à une nouvelle unité spéciale.
«Il est nécessaire de mieux comprendre la situation et de renforcer la présence maritime à des fins de dissuasion et de défense», a déclaré le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg mercredi à Bruxelles.
La solution? La création d'un nouveau «Centre maritime pour la sécurité des infrastructures critiques sous-marines» au sein du Commandement maritime allié (Marcom), basé près de Londres. La réunion des ministres de la Défense de l'Alliance qui se tiendra cette semaine doit encore se prononcer sur le sujet.
Dernièrement, l'Otan avait déjà mis en place à Bruxelles une cellule de coordination pour une meilleure protection des pipelines et autres infrastructures critiques. Cette cellule a été mise en place a en réaction aux actes de sabotage contre les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2.
L'objectif est d'améliorer la surveillance des pipelines ou des câbles sous-marins particulièrement vulnérables, par exemple à l'aide de drones sous-marins ou de sous-marins.
Dix Etats du nord de l'Europe veulent travailler ensemble pour mieux protéger leurs infrastructures en haute mer contre les menaces de sabotage. C'est ce qu'ont convenu les ministres de la Défense de ces pays mardi dernier à Amsterdam.
Dix pays avaient déjà uni leurs forces en 2018: le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Danemark, l'Islande, l'Estonie, la Finlande, la Lettonie et la Lituanie. Cette alliance, baptisée Joint Expeditionary Force (Jef), est dirigée par le Royaume-Uni.
Les pipelines importants, les parcs éoliens ou les câbles en mer sont de plus en plus souvent ciblés par des attaques, a déclaré la ministre néerlandaise de la Défense Kajsa Ollongren à Amsterdam: «Nous en avons vu de nombreux exemples ces derniers mois, comme le sabotage de Nord-Stream». La ministre a également rappelé qu'au début de l'année, des navires russes avaient recueilli des informations sur des parcs éoliens en mer du Nord.
Les ministres ont convenu d'échanger des informations sur les menaces. Ils souhaitent également mieux coordonner leur présence en haute mer. La protection des infrastructures doit également faire l'objet d'une collaboration avec l'industrie.
La Russie n'a jamais été autant active dans ce domaine depuis la guerre froide: c'est ce qu'a déclaré le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg fin 2017. Des représentants de haut niveau de l'Otan et des services de sécurité avaient déjà exprimé leur inquiétude quant à l'augmentation des activités des sous-marins russes.
En particulier, ceux-ci se trouvent de plus en plus souvent à proximité de câbles de données importants dans l'Atlantique Nord. La Russie montre depuis plusieurs années un intérêt évident pour l'infrastructure sous-marine de l'Otan et des pays qui font partie de l'alliance.
En février dernier, les services de renseignement néerlandais ont publié une mise en garde officielle contre les activités russes, indiquant la préparation d'une perturbation ou d'un sabotage de «l'infrastructure maritime». Le chef du renseignement militaire a déclaré qu'un navire russe avait été repéré à proximité d'un parc éolien en mer du Nord et qu'il avait cartographié des sites.
Malgré des demandes répétées, les ambassades russes à Copenhague, Stockholm et Helsinki n'ont pas voulu prendre position sur les conditions et les événements révélés dans le documentaire scandinave, peut-on lire à la fin de la vidéo.
L'ambassadeur de Russie à Oslo a écrit dans un e-mail que les autorités norvégiennes accusaient régulièrement la Russie d'espionnage, de trafic d'influence, de piratage et de menaces hybrides, sans pour autant fournir de preuves. Selon l'AFP, des fonctionnaires russes ont aussi rejeté les accusations formulées dans les rapports, les jugeant infondées.
La reconnaissance de «lieux sensibles» n'est pas inhabituelle et les pays occidentaux mèneront probablement des activités similaires contre la Russie, a-t-on ajouté.
Une panne d'Internet en Europe, et les dommages économiques massifs qui y seraient liés. Un krach boursier aux conséquences mondiales désastreuses n'est également pas impossible. Une chose est sûre: l'Europe serait durement touchée.
Tous les pays européens sont reliés par des lignes de fibres optiques (terrestres et maritimes) multiples. Mais une panne pourrait entraîner des goulets d'étranglement et donc une diminution des capacités des réseaux à grande échelle. Dans des régions moins avancées, cela peut se transformer en pannes complètes, comme l'indique un rapport de l'Office fédéral allemand de la sécurité dans la technologie de l'information (BSI) datant de 2022.
Les experts du BSI ont estimé que le potentiel de dommages était inquiétant à plusieurs égards:
Une autre question est celle des lignes électriques, qui sont posées de plus en plus au fond de la mer, tant pour relier des éoliennes offshore au continent que sur des distances plus longues. Leur sectionnement pourrait, si plusieurs circonstances malheureuses s'alignent, entraîner un black-out.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci