Il n'y a guère d'autre chef d'Etat que Vladimir Poutine ait rencontré plus souvent que lui au cours des dernières années: Alexandre Loukachenko, le dirigeant biélorusse, et le chef du Kremlin font du ski ensemble, jouent au hockey sur glace ou se promènent dans les forêts. Les deux hommes veulent ainsi avant tout démontrer les liens étroits entre la Russie et la Biélorussie. Mais ce n'est qu'une façade.
La Biélorussie dépendait, certes, de la Russie depuis la chute de l'Union soviétique, mais ces dernières années, Alexandre Loukachenko est devenu de plus en plus la marionnette de Poutine. Après les élections truquées de 2020 et les protestations sociales massives contre son régime en Biélorussie, le chef du Kremlin l'a maintenu au pouvoir. La Russie a menacé d'intervenir militairement et a envoyé des forces spéciales pour soutenir le régime biélorusse. Depuis, le dictateur Alexandre Loukachenko est mis au ban de l'Occident et totalement dans les griffes du Kremlin.
Ce n'était en fait qu'une question de temps avant que Poutine n'envoie la facture de son soutien à Alexandre Loukachenko. Et cette dernière est arrivée avec le début de l'invasion russe en Ukraine. La Biélorussie est devenue une zone de déploiement pour l'avancée russe en direction de Kiev, des missiles ont été lancés depuis son territoire... Aujourd'hui, le président russe pourrait désormais en demander encore plus.
En effet, la Biélorussie a rassemblé des soldats, des chars et des défenses antiaériennes à proximité de la frontière ukrainienne. Vladimir Poutine oblige-t-il le régime biélorusse à attaquer l'Ukraine ou du moins à aider le Kremlin à défendre la région de Koursk, au sud de la Russie, contre l'offensive ukrainienne?
De son côté, Alexandre Loukachenko ne veut, en fait, pas intervenir dans la guerre, car cela pourrait finir par lui coûter sa tête.
Le gouvernement ukrainien a confirmé pour la première fois, dimanche, le déploiement de troupes biélorusses. Selon le ministère des Affaires étrangères à Kiev, de nouvelles unités équipées de chars, d'artillerie et de défense antiaérienne ont été vues dans la région de Gomel. Par ailleurs, des mercenaires de l'ancienne force russe Wagner auraient également été reconnus.
Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a appelé les responsables de Minsk à «ne pas commettre d'erreurs tragiques pour leur propre pays sous la pression de Moscou» et à retirer leurs troupes à une distance raisonnable de la frontière commune. Kiev a en même temps souligné qu'elle ne prévoyait «aucune action hostile de quelque nature que ce soit» contre le peuple biélorusse.
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Cette menace claire à l'encontre du pays voisin montre que les nerfs de Kiev sont déjà à vif. Si la Biélorussie attaquait vraiment, cela étirerait encore davantage le front et les défenseurs ukrainiens devraient déployer au nord des troupes dont ils ont un besoin urgent sur d'autres parties du front.
Il y a quelques jours, Alexandre Loukachenko avait certes annoncé le renforcement des troupes en direction de la frontière avec l'Ukraine. Mais pour justifier cette décision, il a évoqué à l'inverse de fortes concentrations de troupes du côté ukrainien. Il a affirmé que l'Ukraine y avait stationné jusqu'à 120 000 soldats. Mais il n'existe aucune preuve de cette affirmation.
De toute façon, cela ne peut pas être la véritable raison des mouvements de troupes biélorusses, car l'armée ukrainienne n'attaquerait probablement pas la Biélorussie en pleine guerre avec la Russie. En effet, malgré son soutien politique à Poutine, Minsk n'a jusqu'à présent pas joué de rôle actif dans la guerre.
La question de savoir si cela va changer dépend en premier lieu de la stratégie du Kremlin. Car une entrée en guerre officielle ne serait pas seulement très risquée pour Alexandre Loukachenko, mais aussi pour la Russie.
En effet, on peut se demander si l'armée biélorusse accepterait de se battre. Ces dernières années, des rumeurs ont régulièrement circulé selon lesquelles la Biélorussie pourrait attaquer l'Ukraine. Toutefois, des rapports ont régulièrement fait état de mutineries de militaires biélorusses. Il existe également des mercenaires biélorusses qui combattent la Russie aux côtés des défenseurs en Ukraine.
Le président biélorusse sait que s'il entraîne son pays dans cette guerre, cela pourrait signifier sa fin politique. Son régime est certes au pouvoir grâce au soutien de la Russie, mais il s'agit d'un colosse aux pieds d'argile. Une majorité de la société biélorusse est favorable à l'indépendance vis-à-vis de la Russie et se range plutôt du côté de l'Ukraine dans la lutte contre l'ancienne puissance coloniale.
C'est pourquoi il existe en Biélorussie des groupes de partisans actifs qui attaquent les infrastructures telles que les voies ferrées afin de ralentir la logistique de guerre russe. Et Alexandre Loukachenko s'est abstenu, du moins publiquement, à bosser comme porte-parole du Kremlin dans sa guerre de l'information.
Au contraire. Pour le dirigeant biélorusse, qui craint pour son propre pouvoir, ce conflit est un cauchemar. Il a lancé des tentatives de médiation et ne s'est prononcé que l'année dernière pour un cessez-le-feu. Le Kremlin a refusé. En outre, ces derniers mois, Alexandre Loukachenko a tendu la main à l'Occident proposant de facilitant l'obtention de visas pour les citoyens des pays occidentaux. En effet, avant cela, les Etats-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni avaient imposé de nouvelles sanctions à la Biélorussie, qui ont fortement touché le pays.
Jusqu'à présent, ces tentatives diplomatiques sont restées lettre morte. Une détente entre l'Occident et la Biélorussie de Loukachenko semble bien loin. C'est pourquoi il a fait circuler cette année l'information selon laquelle il pourrait se retirer pour des raisons de santé. Mais les experts y voient une manœuvre et estiment que le président biélorusse tente de placer un successeur qu'il pourra contrôler.
Alors que le régime biélorusse s'est jusqu'à présent opposé à cette guerre, une attaque aurait également de nombreux inconvénients pour Vladimir Poutine. La Biélorussie ne disposait, en 2020, que de 45 000 soldats actifs et pourrait encore faire appel à 300 000 réservistes en cas d'urgence. C'est peu.
Pire, si l'armée biélorusse se mutine et que le régime du président vacille, ce n'est pas l'armée ukrainienne qui se retrouverait soudain avec un nouveau front dont elle devrait s'occuper, mais bien le Kremlin. En outre, si la Biélorussie entrait en guerre, la Pologne voisine pourrait, elle aussi, se sentir menacée pousser davantage d'aide en direction de l'Ukraine.
Pour le président russe, ce scénario conduirait à un fiasco stratégique, et le risque lié à une telle attaque serait sans commune mesure avec l'effet réel que les troupes d'Alexandre Loukachenko pourraient avoir sur les champs de bataille de l'Ukraine.
C'est aussi pour cette raison que l'Ukraine et l'Occident doivent faire preuve de patience afin de mieux évaluer les plans du président biélorusse. Avec le déploiement de troupes en Biélorussie, Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine pourraient poursuivre plusieurs objectifs stratégiques.
D'une part, il pourrait s'agir d'une manœuvre de diversion visant à lier les formations ukrainiennes dans le nord du pays. Il est évident que Kiev devrait réagir à une éventuelle menace dans le nord. Etant donné que l'Ukraine a en réalité besoin de ces soldats dans le Donbass ou dans la région russe de Koursk, Moscou aurait déjà atteint son objectif – l'Ukraine est affaiblie par le transfert de troupes.
D'autre part, après l'attaque ukrainienne sur le sud de la Russie, Vladimir Poutine devrait vouloir se venger et reconquérir son territoire national le plus rapidement possible afin de ne pas paraître faible en ne pouvant pas défendre son propre territoire national. Afin de reprendre Koursk et de libérer les troupes russes qui pourraient y être enfermées, il serait stratégiquement judicieux pour la Russie, à court terme, de déployer des troupes biélorusses en Russie. En effet, celles-ci sont déjà prêtes et n'ont pas besoin d'être formées.
Kiev est conscient de ce danger et menace donc d'attaquer des cibles en Biélorussie. Mais il n'est pas certain que l'Ukraine mette réellement cela à exécution, car l'armée ukrainienne doit, elle aussi, économiser ses ressources.
Une chose est certaine à ce stade, ce n'est pas Alexandre Loukachenko qui décidera d'un éventuel ordre d'attaque, mais plutôt Vladimir Poutine. A lui de voir quand il décidera de sortir son joker.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)