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Et si l'échec du RN était la meilleure chose à lui arriver?

Le Pen et Bardella: prêts pour 2027?
Le Pen et Bardella: prêts pour 2027?keystone (montage)
Analyse

Et si l'échec du RN était la meilleure chose qui pouvait lui arriver?

Le revers du Rassemblement national au deuxième tour des législatives lui offre peut-être la meilleure stratégie: renforcer son assise pour mieux rebondir à l'élection présidentielle de 2027. Pour cela, encore faut-il que Marine Le Pen et Jordan Bardella continuent à se serrer les coudes.
12.07.2024, 16:5213.07.2024, 02:52
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A l'issue des législatives françaises, la formation du Nouveau front populaire est la première force politique du pays et le Rassemblement national est le plus puissant parti de France à l'Assemblée nationale. Il présente une très importante progression par rapport aux derniers scrutins.

Pour son président, Jordan Bardella, qui espérait une majorité absolue, c'est cependant une déconvenue. Les prétentions du jeune loup de 28 ans au poste de premier ministre sont balayées. Pour Emmanuel Macron, qui avait dissout l'Assemblée nationale et lancé des élections anticipées, la stratégie de confinement du parti nationaliste semble atteinte — aux dépens de son propre bloc centriste.

Mais cet échec en est-il vraiment un? Car au-delà du score et du nombre de sièges du RN, un autre cap décisif est désormais attentivement scruté par tous les observateurs: les élections présidentielles de 2027.

Le plan de Macron

Pour mieux comprendre la dynamique qui secoue le RN et ses rivaux ainsi que ces prochaines et cruciales trois prochaines années, il s'agit de revenir quelques semaines en arrière. Après la dissolution de l'Assemblée, plusieurs sources ont relaté la stratégie d'Emmanuel Macron: prendre le risque de laisser le RN gagner Matignon, en espérant que le parti fasse l'étalage de son incompétence durant trois ans. Le but? Couper l'herbe sous le pied de Marine Le Pen en 2027, quand Macron ne pourra pas se représenter.

Jean-Yves Camus, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès et expert de l'extrême droite française, partage cette hypothèse. Selon l'expert, le président en exercice a une hantise:

«Macron ne veut pas être le président qui aura permis la passation de pouvoir avec Le Pen»
Jean-Yves Camus, Observatoire des radicalités politiques

Dès l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale, Marine Le Pen avait d'ores et déjà assuré qu'elle ne deviendrait pas première ministre en cas de victoire majoritaire du RN. Le ticket prévu par le RN pour 2027 n'a donc pas changé: Marine Le Pen à l'Elysée, Bardella à Matignon. Sur TF1, elle a dit «vouloir se concentrer sur la présidence de la République». Elle le disait déjà en 2023:

Mais l'arrivée de Matignon à Bardella aurait tout de même été vue comme un sacré «plus».

«S'ils nous donnent la majorité, c'est normal que Jordan Bardella soit à Matignon, pour mettre d'ores et déjà en œuvre notre programme pendant trois ans et préparer l'arrivée de Marine Le Pen à l'Elysée en 2027»
Gaëtan Dussausaye, eurodéputé RNfranceinfo

Premier ministre, le cadeau empoisonné

Il faut dire que le poste de premier ministre, au-delà du prestige, n'est pas de tout repos. Très exposée, la place n'a que rarement servi de tremplin pour accéder à la présidence dans la Ve République, à l'exception de Georges Pompidou et Jacques Chirac, note Jean-Yves Camus.

Ce poste sous pression, entre le marteau et l'enclume, est un genre de cadeau empoisonné pour qui vise la présidence. Et ça, Emmanuel Macron comme Marine Le Pen le savent bien. Le premier espérait voir Jordan Bardella échouer et la deuxième sait que sa présence à Matignon pouvait se transformer en vitrine comme en piège.

En y envoyant la relève du parti et en visant la présidence, «elle se préserve en cas d'échec», explique Franceinfo. Et en cas de réussite, elle mettrait l'accent sur le succès du passage du RN pour renforcer le ticket nationaliste en vue des présidentielles 2027

L'étiquette RN convainc plus que les candidats

Mais entre l'échec et le naufrage, il y a un monde. Nombreux sont les opposants politiques qui auraient rêvé de voir Bardella, s'il avait été élu, s'empêtrer dans les affaires, les polémiques et tomber dans les pièges tendus. Avec peut-être à la clé et dans le scénario optimal: une chute du RN dans les sondages en cas de naufrage complet.

En ce sens, l'échec du RN à rassembler une majorité au deuxième tour est peut-être à l'avantage du premier parti de France, qui peut se maintenir sur sa stratégie qui a fait ses marques: devenir la principale force d'opposition et étendre ses idées à l'Assemblée nationale comme dans la population en tant que parti contestataire.

Pour cela, le parti va aussi devoir se professionnaliser, note Jean-Yves Camus. En effet, une bonne partie des candidats aux législatives ont été épinglés soit pour leur manque de professionnalisme, soit pour des positions extrémistes qui n'ont pas été correctement «screenées» par les cadres du RN. Mais au final, pour les votants, cela compte assez peu:

«Les gens votent pour l'étiquette du RN, pas les candidats»
Jean-Yves Camus, Observatoire des radicalités politiques

La grogne couve

Grâce à ce blanc-seing donné par de nombreux électeurs au parti, le score du RN pourrait mécaniquement continuer de monter. La grogne générale et le ressentiment qui agite le pays couvent encore sous la braise. «On est considérés comme des moins que rien», disait récemment au micro de la radio Europe 1, lors d'un reportage, un votant du RN. Un autre lance, excédé:

«On vole la victoire au RN. Il est à 37%. Les Français avaient envie que Bardella passe»

Et cette grogne sera représentée à l'Assemblée nationale: en restant dans l'opposition, mais avec un groupe parlementaire fort, le RN va avoir les coudées franches, ces trois prochaines années, pour critiquer tant la politique de Macron que celle de son premier ministre. Ceux-ci vont avoir fort à faire pour gouverner, sans la certitude d'une majorité, dans la nouvelle «configuration des trois blocs».

«Toute situation de confusion, de manque de stabilité ou de majorité ingouvernable profite au RN»
Jean-Yves Camus, Observatoire des radicalités politiques

Tomber dans la rivalité, le piège fatal

Alors, s'agit-il d'un boulevard idéal pour la présidentielle? Il y a un hic: pour continuer à monter dans les sondages et réussir en 2027, Le Pen et Bardella doivent rester soudés. «Ensemble, ils triangulent deux secteurs démographiques cruciaux», résume Politico. La fille du créateur du parti permet au RN de maintenir sa base historique populaire, ouvrière et plus âgée et le jeune loup attire à lui les jeunes, les cadres et les déçus de la droite classique.

«Ils ne forment le ticket gagnant qu'ensemble»
Jean-Lin Lacapelle, député du RNpolitico

D'autant plus qu'on devrait voir arriver de nouveaux votants d'ici à 2027. Jean-Yves Camus cite notamment les jeunes qui ne se sont pas inscrits sur les listes de vote. Et qui pourraient mettre un bulletin dans l'urne pour Bardella – et pas Le Pen. Cette nouvelle vague de votants pourrait-elle faire céder le «barrage républicain»?

«La mobilisation contre le RN fonctionne toujours. Est-ce qu’elle marchera encore en 2027?»
Jean-Yves Camus, Observatoire des radicalités politiques

Bref. Pour réussir, les deux ténors du parti doivent rester unis et ne pas tomber dans la rivalité. L'ombre de ce classique l'«élève qui dépasse le maître», bien connu en politique, est présente. On pense notamment à Emmanuel Macron qui double François Hollande.

«Ce n’est pas parce que Le Pen a choisi Bardella qu’il n’y a pas de concurrence. Cette rivalité existe déjà»
Jean-Yves Camus, Observatoire des radicalités politiques

Au sein du RN, deux camps seraient en train de se creuser. Le premier considère que le duo actuel est gagnant. Et les autres, qui estiment que Jordan Bardella est le futur du parti. Et son accession au pouvoir permettrait de terminer complètement la dédiabolisation du parti en éjectant le nom «Le Pen». Pour ceux-ci, la question n'est pas de savoir si Bardella va prendre les rênes, mais quand.

Baroud d'honneur pour Le Pen

Jean-Yves Camus se méfie de cette hypothèse, rappelant qu'au sein du RN, les guerres intestines ont toujours débouché sur une victoire des «anciens». Autrement dit, Marine n'est pas sur le point de se faire éjecter. «Au RN, c'est toujours Le Pen qui a le dernier mot», indique l'expert. Mais il note aussi qu'en 2027, ce sera la quatrième tentative de la patronne du clan pour la présidence.

«2027 sera certainement la dernière campagne pour Marine Le Pen»
Jean-Yves Camus, Observatoire des radicalités politiques

D'ailleurs, la jeunesse de Bardella rendrait une victoire présidentielle improbable. «Macron a déjà été élu très jeune, à 39 ans. Bardella, président à 31 ans? Je n'y crois pas», note Jean-Yves Camus. Maie jeune âge du ténor du RN est un avantage certain, pour la suite:

«Je ne pense pas que Bardella tentera d'éjecter Marine Le Pen avant 2027. Mais après, qui sait?»
Un allié du RNpolitico
Les Barcelonais chassent les touristes avec des pistolets à eau
Video: watson
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