C'est un moment qui restera probablement dans les annales de l'histoire people, quelque part entre la robe de Jennifer Lopez à l'origine de Google Images en 2000 et la baffe de Will Smith infligée à Chris Rock pendant la cérémonie des Oscars en 2022. La robe invisible de Bianca Censori, l'épouse du malheureusement génial mais surtout infréquentable rappeur Kanye West, révélée durant la 67e édition des Grammy Awards.
Un coup de comm' et de théâtre savamment orchestré et qui, selon la rumeur, aurait valu au couple West une expulsion manu militari de la soirée. Et qui a porté ses fruits, comme Ye l'a revendiqué lui-même sur son compte Instagram dans la foulée. Ce 4 février, sa femme est devenue la personne la plus cherchée de la «planète appelée Terre» sur Google.
Il n'en fallait pas plus pour que le duo ravive un vieux débat public, sociétal, politique, philosophique. Une question qui déchire l'opinion depuis l'annonce de leur «mariage», en décembre 2022. Enfin, plutôt, depuis que la nouvelle madame West a commencé à multiplier les apparitions. Rarement sans son mari. Plus rarement encore avec des vêtements.
C'est qu'ils nous ont donné matière à nous gratter le menton, Kanye et Bianca. Entre la robe en forme de préservatif moulante (en gaz de soie), la croix scotchée sur les fesses, le scotch plaqué sur les seins, quand ce n'est pas un coussin ou un ours en peluche. Mais citons aussi l'imperméable en plastique transparent. La robe en collant couleur chair. Les collants fluorescents.
Un dressing «d'autant» plus marquant que son partenaire, lui, apparaît toujours couvert de la tête aux pieds. Comme une sorte de jeu des opposés. Un contraste pour mieux mettre en lumière sa nudité. Une nudité frontale, moins pour séduire que pour choquer.
Pour rappel, l'architecte de 30 ans n'est de loin pas la première compagne érigée en muse stylistique par Kanye West. Le rappeur, qui a fait de la mode son «langage amoureux», a commencé avec sa première épouse, Kim Kardashian. Son relooking (radical) a été exposé dans un épisode aujourd'hui iconique du show de télé-réalité Keeping Up with the Kardashians, en 2012.
«Bébé, tu dois tout vider!» braille alors Kanye pendant que Kim, en larmes et panique, bataille ferme pour conserver un sac à main ou une paire d'escarpins vernis. Résultat: elle est passée de persona non grata au MET Gala, avec une Anna Wintour qui la comparait à une vulgaire paire de «chaussettes-sandales», à l'une des femmes les mieux habillées de la planète.
Plus récemment, c'est l'actrice et mannequin Julia Fox qui est passée par la matrice Kanye. Quelques heures après avoir entamé leur romance, en 2022, celui-ci balance ses fringues à la poubelle - non sans avoir offert au préalable un dressing complet et une équipe de stylistes à sa douce. «Après le dîner, Ye avait une surprise pour moi. Je veux dire, je suis encore sous le choc. Toute une suite d'hôtel pleine de vêtements», témoigne-t-elle dans ses mémoires et le magazine Interview.
L'expérience, décrite comme «cathartique», l'a tant marquée qu'elle enflamme chaque red carpet avec des looks complètement givrés depuis.
Jusque-là, pourquoi pas. Chacun ses velléités et méthodes d'expression artistique. D'autant que Kim Kardashian, comme Julia Fox, semblent s'en être plutôt bien sorties.
Bianca Censori, elle, incarne tout autre chose. Plus radicale. Plus silencieuse. Il y a d'abord cette absence d'expression. Ces grands yeux écarquillés. Cet air perpétuellement vide. Un visage qui a le chic pour nous mettre mal à l'aise et nous donne envie de lui lancer: «Bianca, cligne deux fois si tu n’es pas d'accord!»
Enfin, si elle pouvait cligner.
A cela s'ajoutent les dérapages de son mari, mis au ban de la société pour ses controverses infinies. Ses sorties antisémistes et/ou racistes et/ou sexistes. Sa candidature grotesque à la Maison-Blanche. Ses copinages politiques avec Trump. Les accusations diverses et variées de harcèlement et de comportements inappropriés, ainsi que d'agression sexuelle, notamment de la part d'anciens employés. Ses contrats rompus. On vous passe le récap' détaillé.
Vous connaissez le personnage.
Et puis, comme si cela ne suffisait pas, plusieurs voix de «proches» anonymes se sont élevées dans la presse tabloïd pour achever de semer la panique. Bianca aurait «coupé les ponts». Bianca doit suivre le «régime» imposé par Kanye. Bianca ne veut rien savoir «des inquiétudes de quiconque à son sujet». Bianca serait «dépassée». Bianca s'est «mise à boire». Bien assez de rapports cumulés dans Page Six et le Daily Mail pour nous convaincre de lancer une pétition #FreeBianca.
D'autant que, histoire de contrebalancer, d'autres sources anonymes ont tenu à rappeler que Kanye et Bianca, c'est d'abord une «équipe». Bianca a évidemment «son mot à dire». Bianca est une «personnalité folle». Bianca est une «actrice phénoménale». Bianca est une «artiste de performance», «tout autant» que son compagnon.
Au milieu de ce brouhaha, un problème. Et de taille. Bianca Censori ne s'exprime pas. Jamais. Aucune vidéo récente ne la montre en train de parler (à l'exception d'une archive de 2022, à l'occasion d'une conférence sur la réalité virtuelle qui, selon Page Six, aurait fait «halluciner» ses fans). Impossible de prêter une pensée ou un avis à cette apparition de chair et de (peu de) tissu. La muse de Kanye West est une énigme. Et c'est peut-être ça, encore plus que ses tenues bizarroïdes, qui nous dérange.
Un silence qui tranche avec notre époque, où l'on a plutôt tendance à nous étaler. En interview, en podcast, en image, en prise de position sur les réseaux sociaux. Une époque où chaque comportement doit être expliqué, justifié. Un silence dont nous avons horreur et que nous comblons comme nous pouvons. Suppositions, commentaires, spéculations.
Elle est peut-être là, au fond, la vérité. Nous ne savons rien. Pas plus sur ce que pensait Bianca Censori au moment d'ôter son manteau face aux flashs frénétiques des photographes dimanche soir, que sur l'intimité du couple étrange et incompris qu'elle forme avec Kanye West.
En attendant une explication qui ne viendra peut-être jamais, nous sommes libres de penser ce qu'on veut d'une robe invisible. Bondir au plafond. Froncer les sourcils. Nous indigner. Appeler au «boycott». Ricaner. S'inquiéter. Saluer une performance artistique. Esquisser l'ombre d'un sourire ironique, face au dernier mauvais tour de ce duo passé maître dans l'art de la provocation.