Chaque épisode de «l'affaire Luigi Mangione» draine son lot d'anecdotes qui n'ont rien à voir avec le travail de la justice. Erigé en héros par une partie de l'opinion publique, le meurtrier présumé du PDG de UnitedHealthcare, Brian Thompson, le 9 décembre dernier à New York, a plaidé non coupable entouré d'une vingtaine de groupies venues le soutenir, contrairement à sa famille.
Dans un tribunal de Manhattan pris d'assaut, l'accusé de 26 ans a (une nouvelle fois) marqué les esprits en affichant un sourire très détendu, compte tenu des enjeux. Avec onze chefs d'inculpation sur le dos, à New York comme au niveau fédéral, Luigi Mangione risque jusqu'à la peine de mort s'il est jugé coupable. Ce sourire, les photographes ne l'ont évidemment pas manqué.
Pour ses fans, cette décontraction apparente serait la preuve que Luigi Mangione est persuadé d'échapper à la moindre condamnation. D'autant que, lundi, le diplômé de l'Ivy League a offert des sourires à chacun de ses déplacements, y compris une fois assis à l'arrière d'une voiture de police. Une assurance qu'a semblé partager son avocate, une fois dans la salle d'audience. Mais c'est sa tenue vestimentaire qui va faire couler de l'encre, bien avant sa prise de parole. (On y reviendra.)
Fringuée de la même manière que son client – un pull mauve sur une chemise blanche apparente, la femme de loi a fait chavirer les réseaux sociaux. (Décidément.)
Pur hasard ou réelle mise en scène? Internet a choisi.
IT'S THE SAME SAME OUTFIT https://t.co/ESLmULl51e pic.twitter.com/Esx5vS9SOg
— matt (@computer_gay) December 23, 2024
Si la sauce a pris sur les réseaux sociaux dès le lendemain du meurtre, la popularité déraisonnable de l'accusé a enflé au moment de son transfert de Pennsylvanie à New York. Un cortège officiel auquel plusieurs dizaines d'huiles du NYPD, des agents armés de mitraillette et le maire de New York ont pris part. Un grand spectacle que les médias ont eu le droit d'immortaliser dans ses moindres de détails, offrant à Luigi Mangione le statut de méchant de Marvel.
Pour le patron de la ville, Eric Adams, il s'agissait d'en faire un symbole, histoire que la population américaine comprenne que «cet acte de terrorisme et la violence qui en découle sont des choses qui ne seront pas tolérées à New York». Aujourd'hui, cette mise en scène grandiloquente et l'accusation de «terrorisme d'Etat» sont au cœur de «l'affaire Mangione».
Le procureur de Manhattan Alvin Bragg, le même qui fut aux prises avec Donald Trump il y a quelques mois, a jugé important de dépasser l'accusation de meurtre au deuxième degré, en chargeant Luigi Mangione de terrorisme. Une décision qui suppose que le jeune homme «avait l’intention d’intimider ou de contraindre une population civile et/ou d’influencer les politiques d’une unité gouvernementale». Deux questions capitales surgissent de cette définition légale:
Ce sera au jury d'en décider. Mais le profil hautement populaire de l'accusé est évidemment à la base de cette complication des chefs d'inculpation. Le manifeste retrouvé sur Luigi Mangione au moment de son arrestation et ses nombreuses publications en ligne suggère qu'il s'en est serait pris au patron de UnitedHealthcare pour condamner l'attitude des compagnies d'assurance américaines envers leurs clients. Vous l'aurez compris, c'est là que se planque le «terrorisme d'Etat», selon le procureur Alvin Bragg.
En théorie, ce raisonnement sonne comme une mauvaise nouvelle pour la défense. Pourtant, le dossier risque aussi de se transformer en chaos politique pour le ministère public. En cause, le fait que, désormais, l'intention de Luigi Mangione devient un élément central du procès à venir. C'est l'avis de plusieurs experts et commentateurs américains, persuadés que ça a de quoi compliquer le travail de la justice. Parmi eux, Mark Bederow, avocat pénaliste et un ancien procureur adjoint du district de Manhattan. Il considère que «c'est une erreur d'accuser Luigi Mangione de terrorisme».
Et, ça, l'avocate de Luigi Mangione l'a bien compris, car le procureur Bragg est désormais contraint de prouver que son client a moins voulu «simplement» tuer sa victime que «semer la terreur» aux Etats-Unis.
Lundi, Karen Friedman Agnifilo en a fait son fil rouge, durant l'audience, pour montrer les dents et lever (un peu) le voile sur sa stratégie de défense. Spoiler: la meilleure défense, c'est l'attaque. Selon cette avocate, qui a passé une bonne partie de sa carrière au bureau du procureur de Manhattan avant de rejoindre le cabinet de son mari, lui-même avocat de Sean «Diddy» Combs, Luigi Mangione est traité «comme une balle de ping-pong par deux juridictions en guerre, comme un spectacle humain».
Elle en a également profité pour tacler le maire de New York, qu'elle accuse de vouloir ainsi faire oublier ses propres déboires avec la justice, car Eric Adams est actuellement accusé par le FBI d'avoir accepté des voyages gratuits en guise de pot-de-vin.
En réponse, le procureur Bragg a promis un «procès équitable» et «une sélection soigneuse du jury». Mais pourra-t-il écarter tous les jurés potentiels qui ressentent une sympathie pour celui qui est largement considéré comme le Robin des Bois des assurés? Rappelons que dans un procès pour meurtre au deuxième degré, le jury n'a pas à s'attarder sur les intentions de l'accusé. En invoquant l'acte terroriste, le procureur offre une chance à Luigi Mangione et à son avocate de mettre en cause le système de santé américain, tant détesté par la population.
Un scénario qui transformerait définitivement ce procès en arène politique et en grande foire populaire, durant la première année de mandat du président Donald Trump. La dramaturgie parfaite? Disons surtout que, pour l'heure, la netflixisation de «l'affaire Mangione» semble donner l'avantage à la défense. D'autant que Karen Friedman Agnifilo en connait un rayon en scénarisation de la justice, elle qui a longtemps été consultante pour la série New York, police judiciaire.
La prochaine audience a été fixée au 21 février 2025.