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Serbie-Kosovo: Comment les mensonges alimentent le conflit

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Mensonges et contrevérités alimentent le conflit Serbie-Kosovo jusqu'en Suisse

Derrière les tensions à la frontière serbo-kosovare, les choses ne sont pas aussi graves qu'elles en ont l'air. Les deux camps mentent.
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29.12.2022, 11:5729.12.2022, 12:43
Petar Marjanović
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Depuis quelques jours, le conflit entre la Serbie et le Kosovo est de nouveau en ébullition. Dans des communes aux ethnies diverses, les nationalistes des deux camps ont de nouveau bandé leurs muscles, bloqué des routes et se sont confrontés. Il est certes connu que ce sont surtout les personnes de toutes les ethnies et religions qui en souffrent, mais les meneurs l'ignorent habilement.

Mercredi matin, on pouvait penser que le combat pourrait s'étendre aux touristes. Le Blick annonçait ainsi que les menaces serbes visaient désormais aussi les Kosovars de retour chez eux. La manchette était parfaite, car elle indiquait à l'importante communauté kosovare de Suisse que les bruits de bottes devenaient désormais sérieux!

Le Blick a débusqué cette histoire croutillante en lisant un article de blog sur un portail de la diaspora albanaise basé à Berne. Dans le texte original, il était question de «bandes serbes» et de leurs barrages routiers, ce qui fait que des «milliers de migrants sont pris au piège en Serbie». Ils seraient menacés, insultés et maltraités par «des mercenaires et des bandes serbes, dont des personnes ivres». Pire encore: «Ils tiennent des couteaux et des armes devant les enfants.» Les émigrants de Suisse chercheraient donc de l'aide à Berne ou auprès de l'ambassade suisse à Belgrade.

Nos confrères du Blick ont certes classé la source («représente clairement le point de vue de Prishtina, mais n'est pas considéré comme une source de fausses informations»), mais ils n'ont pas vérifié les faits.

Des blocages ont certes eu lieu, qu'ils ont entraîné des embouteillages pendant des heures et des escarmouches prévisibles entre les bloqueurs et les bloqués. Mais il est fort probable qu'il n'y ait pas eu de menaces concrètes ou même de mauvais traitements: les indications à ce sujet dans les médias sociaux ont fait défaut, tout comme les confirmations officielles de la part des autorités.

Le département des Affaires étrangères (DFAE), à Berne, a répondu a watson:

«Le DFAE, y compris nos ambassades à Belgrade et à Pristina, n'a reçu jusqu'à présent aucune demande de citoyen suisse qui serait bloqué à la frontière entre le Kosovo et la Serbie ou en difficulté dans l’un de ces deux pays.»

Pas d'annonce d'attaques présumées contre des Suisses

Berne observe activement les développements dans le nord du Kosovo et les tensions persistantes et appelle régulièrement les parties au conflit à la désescalade, poursuit la porte-parole. Le DFAE met même en garde contre une «situation sécuritaire tendue» qui pourrait conduire à «des troubles ou des actes de violence isolés et ciblés». Il n'y a, en revanche, pas eu d'indications concrètes selon lesquelles de telles attaques auraient été perpétrées contre des Suisses – contrairement à ce qui a été annoncé sur le blog.

Cette annonce n'en a pas moins suscité l'inquiétude, et ce, précisément au moment où certaines familles d'origine kosovare de Suisse ont déjà pris le chemin de leur pays d'origine ou s'y trouvent déjà. Elle a surtout donné une raison supplémentaire d'attribuer aux tensions ethniques une importance plus grande qu'elles ne le méritent.

Les responsables sur place le savent également. Ainsi, Milazim Gashi, un ancien ministre kosovare, a parlé de seulement «300 citoyens serbes» sur les barricades. Il les a ensuite accusés d'être des mercenaires serbes qui dressent les barricades pour «50 euros par jour». Le président serbe Aleksandar Vučić s'est également adressé, hier aux médias, et a minimisé le sujet des barricades lors de la conversation.

Le soir, le président serbe a tout de même annoncé que les barrages routiers dans le nord du Kosovo seraient démantelés, ce qui pourrait contribuer à la désescalade.

Le tribunal kosovar reprend le premier ministre Kurti

Les institutions semblent également toujours fonctionner, dans une certaine mesure, selon les règles de l'Etat de droit. Ainsi, mercredi, un tribunal kosovar a décidé de faire un geste humain envers le déclencheur des troubles et accorder à Dejan Pantić, Serbe et policier arrêté, une assignation à résidence plutôt qu'une détention, et ce, pour des raisons de santé. Pantić est accusé d'avoir agressé un collègue kosovar lors d'une manifestation. Il fait l'objet d'une enquête pour «terrorisme».

Le premier ministre nationaliste de gauche du Kosovo, Albin Kurti, a critiqué cette décision et son parti a même parlé de «trahison» dans un communiqué. Le blâme n'a pas tardé: Kurti a été prié par le Conseil de la justice de «respecter sans commentaire» la séparation des pouvoirs et les décisions de justice.

epa10367164 Kosovo Prime Minister Albin Kurti (L) addresses a joint press conference in Prague, Czech Republic, 15 December 2022. Kosovo?s Prime Minister Kurti submited membership application to join  ...
Albin Kurti voulait savoir quel juge avait accordé l'assignation à résidence à Pantić. Cette position critique à l'égard de la justice lui a valu un blâme.image: keystone

De la désinformation aussi côté serbe

Les fausses informations ne se trouvent pas seulement du côté kosovar. Ces derniers jours, le journal serbe Informer a ainsi livré une série de gros titres incendiaires. Il y a quelques jours, on pouvait y lire: «Nous ne laisserons pas Kurti tuer nos enfants.» Mercredi, on y ajoutait:

«Ils veulent expulser tous les Serbes du Kosovo»

L'attitude sexiste, raciste et hostile à l'Albanie de l'Informer est certes connue depuis longtemps. Mais la proximité de la rédaction avec Vučić et son Parti progressiste est encore plus connue. Ce qui permet au journal de remporter un succès considérable. Si l'on en croit les données de la maison d'édition, l'Informer, avec un tirage de plus de 100 000 exemplaires, est considéré comme le tabloïd le plus populaire de Serbie.

Kosovo Serbs carry a giant Serbian flag during a protest near a barricade on the road near the village of Rudare, north of Serb-dominated part of ethnically divided town of Mitrovica, Kosovo, Thursday ...
Le 22 décembre, des Serbes ont manifesté à Rudare.image: keystone

On ne sait pas combien de lecteurs croient à cette rhétorique de combat. Mais les images de ces derniers jours ont montré que ce geste guerrier pouvait mobiliser des milliers de personnes. Peu avant le Noël catholique, des supporters de Rudare Vučić ont protesté dans le village kosovar dominé par les Serbes en brandissant leur drapeau tricolore serbe surdimensionné. En réalité, à peine 500 personnes vivent dans le village lui-même.

(traduction et adaptation par sas)

Une personne âgée frappée par une infirmière dans un EMS au Kosovo
Video: watson
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