L'heure de l'apéro de bienvenue approche et, avec elle, son lot de nouveaux employés qui vont fouler la moquette de l'administration américaine pour la première fois. Le 20 janvier, Donald Trump prêtera serment et emménagera pour la deuxième fois à la Maison-Blanche. Pour fêter ça, jeudi matin, le milliardaire de Palm Beach a annoncé l'engagement de 1000 premiers fonctionnaires. Des gens forcément «exceptionnels à tous égards».
Une bonne nouvelle? Joker. Mais l'important est ailleurs, car Donald Trump ne pouvait pas se contenter de partager une simple information factuelle. Dans la même publication, il a voulu avertir ceux qui auraient envie de recommander des bons éléments au nouveau président: «Afin d’économiser du temps, de l’argent et des efforts, il serait utile que vous ne nous envoyiez pas des personnes qui ont soutenu ou travaillé avec...»
Avec?
Voici les noms des ennemis:
Pour ceux qui espéraient un piston de ces quelques personnalités du monde politique américain, il faudra se résigner à bosser dans le privé. Autant d'adversaires et de traîtres qui vont avoir quatre années difficiles, mais qui souffriraient tous d'une même maladie. Si, si:
Robert De Niro: Donald Trump doesn’t belong in my city. We New Yorkers used to tolerate him when he was just another grubby real estate hustler masquerading as a big shot. A two-bit playboy lying his way into the tabloids. He’s a clown. But this person can’t run the country. That… pic.twitter.com/5LYzPnjVlL
— Biden-Harris HQ (@BidenHQ) May 28, 2024
Un mal dont souffrirait également Robert de Niro, lui qui avait fait le pied de grue devant le tribunal de New York pour traiter Donald Trump de «clown». En réaction, le milliardaire, vexé, avait déclaré que «De Niro souffre d'un cas incurable de Trump derangement syndrome, communément appelé TDS dans la communauté médicale». (Oui, il aime bien le mot «communément».)
Pour commencer, Donald Trump ment. La «communauté médicale» n'a jamais reconnu l'existence du «Trump derangement syndrome». Une étude avait même été réalisée en 2021 pour démolir cette rumeur. Mais de quoi parle-t-on exactement? D'un terme qui ne date pas d'hier (ni de Trump), mais de 2003 et de George W. Bush.
Inventé par le psychiatre et chroniqueur politique (conservateur) Charles Krauthammer, ce mal fut défini ainsi:
Autrement dit, même si Bush avait voulu annoncer qu'il offrait deux millions de dollars à tous les Américains, ses détracteurs auraient trouvé de quoi s’en offusquer. En gros: une allergie incurable qui empêcherait de juger objectivement un chef d'Etat et ses actes.
Sans grande surprise, Donald Trump et ses fidèles ont très vite sauté sur ce diagnostic pour justifier la moindre critique ou accusation à son égard. En 2016, il a pu surfer sur les réactions épidermiques que son élection avait suscitées chez des électeurs démocrates, décrivant alors des symptômes purement physiques:
Là où ça se complique, c'est que, malgré l'absence d'explication purement médicale, l'impossibilité croissante de ses ennemis à lui offrir le moindre crédit a fini par servir ses intérêts, le porter loin des tribunaux et le catapulter à la Maison-Blanche.
Fareed Zakaria en avait fait l'amère expérience en 2017. Ce journaliste du Washington Post, alors très critique à l'égard d'un 45ᵉ président des Etats-Unis, qu'il qualifiait de «cancer de la démocratie américaine», s'était pris les foudres des démocrates, lorsqu'il a applaudi l'une de ses décisions dans le dossier syrien. Une décision qui, pour Fareed Zakaria, «reflétait un aveu tardif de Trump qu'il ne peut pas toujours donner la priorité à l'Amérique et doit agir en conséquence». On n'était pas vraiment au stade des louanges. Et pourtant:
Sans verser dans la thèse de philo, à quel moment un décideur politique est-il allé trop loin dans l'abjecte, le mensonge, la crapulerie ou simplement l'impopularité, pour qu'on ne soit plus en mesure de lui accorder un bon point, aussi dérisoir soit-il? Exemple encore tout chaud avec l'annonce de cessez-le-feu à Gaza et la libération d'otages, mercredi soir. Alors que le milliardaire y a fortement contribué, des deux côtés du ring politique, il a fallu digérer le fait que le 47e président a, cette fois, bien bossé.
Si bien que Darius Rochebin, sur LCI, bien conscient que la situation ne se présente pas tous les jours, a dû rappeler que son expert Gérard Araud «fait partie de ceux qui sont très critiques envers Donald Trump», avant de lui faire dire «Bravo Trump!»
🗣️ "Bravo Trump !" salue @GerardAraud après l'accord entre Israël et le Hamas pour un cessez-le-feu à Gaza et la libération d'otages
— LCI (@LCI) January 15, 2025
▶️ @DariusRochebin pic.twitter.com/rEy2tXtCtp
Plus près de chez nous, on pourrait penser que les Français sont frappés d'un «Macron derangement syndrome», tant ses faits et gestes semblent ne jamais convenir, depuis plusieurs années. Or, personne n'a jamais entendu le président de la République accuser la totalité de ses détracteurs d'en souffrir, même s'il considère que cette détestation généralisée n'est pas méritée.
C'est là que la mauvaise foi et la paranoïa s'invitent à table. Dans l'esprit (et la stratégie) de Donald Trump, quiconque s'oppose à sa légitimité sera réduit à un «malade mental». Que ce soit Robert de Niro, Joe Biden, Kamala Harris ou «la cervelle d'oiseau Nikki Haley», ils sont nombreux à être accusés du Trump derangement syndrome par le clan MAGA. En 2024, quand l'avenir de son patron était encore entre les mains d'un jury, l'avocate Alina Habba avait enfilé sa blouse de psychologue pour le défendre:
Alina Habba avait d'ailleurs demandé à ce que le jury soit isolé dans un hôtel jusqu'aux plaidoiries, comme on l'aurait sans doute fait durant la pandémie de Covid-19. Les démocrates et les détracteurs de Donald Trump trouveront-ils un remède avant la fin de son mandat?