Un coup de feu tonne dans les collines recouvertes d'éboulis et d'herbes. Un claquement métallique signale que la cible a été atteinte. «Très bien», sourit Areg*, instructeur de tir. «Tu as du talent pour ça».
Le stand de tir d'Areg, situé dans les collines près de la capitale Erevan, est très apprécié des touristes. La plupart d'entre eux viennent de Russie ou de Chine. Mais en réalité, l'installation est plutôt destinée à la population locale.
D'anciens soldats tentent d'y préparer la population civile à une situation d'urgence: un conflit armé meurtrier avec le voisin azerbaïdjanais. La menace d'une nouvelle attaque par ce pays est une véritable épée de Damoclès pour l'Arménie.
Sur le terrain de l'organisation non gouvernementale Azatazen, à l'extérieur de la capitale arménienne Erevan, tous ceux qui le souhaitent peuvent tirer avec un fusil de sniper ou un fusil d'assaut. Cela ressemble à une offre de loisirs pour les amateurs d'aventure, mais cette formation est très sérieuse en Arménie.
La dernière attaque de l'Azerbaïdjan sur le territoire arménien internationalement reconnu est encore gravée dans la mémoire de tous les habitants du pays. en 2020, l'Azerbaïdjan a conquis certaine régions du sud de l'Arménie au cours d'une guerre de six semaines. Depuis lors, des milices civiles ont été créées dans de nombreuses régions du pays pour constituer une première ligne de défense en cas de nouvelle attaque contre l'Arménie, en attendant l'arrivée de l'armée.
Mais le conflit ne s'est jamais vraiment calmé. Les soldats azerbaïdjanais continuent de bombarder les régions frontalières avec des armes légères.
Ainsi, les habitants du petit village de Khnatsakh, dans le sud-ouest de l'Arménie, indiquent à l'agence de presse Reuters que les soldats azerbaïdjanais ouvrent le feu en direction de leurs maisons tous les soirs à partir de 22 heures. Des toits auraient été touchés à plusieurs reprises. Les habitants du village soupçonnent que ces tirs sont des tentatives d'intimidation ou des démonstrations de force. L'armée azerbaïdjanaise nie ces accusations – et pourtant, les civils arméniens craignent toujours une nouvelle attaque du pays voisin.
Pour être mieux armés contre ce danger, des vétérans de la dernière guerre ont fondé en 2021 l'ONG Azatazen («Les libres») et ont ouvert quatre stands de tir civils à travers le pays:
Les stands de tir sont principalement financés par les touristes qui visitent les sites d'Azatezen. Même ceux qui n'ont jamais utilisé d'arme à feu peuvent tester le tir au fusil ou au pistolet. Il suffit d'avoir suivi les instructions de sécurité d'un vétéran.
Le personnel parle bien anglais, et le choix d'arme est vaste. Les touristes peuvent tirer avec différents modèles de pistolets, de fusils d'assaut ou même de fusils de sniper. Les munitions ne coûtent que l'équivalent de quelques francs.
Et les affaires marchent bien, explique Areg, tandis qu'il instruit une touriste allemande sur un fusil d'assaut Perun. Les visiteurs viennent souvent parce qu'ils n'ont pas la possibilité de tirer avec des armes de guerre dans leur pays.
Par ailleurs, les membres des milices civiles et les officiers de police peuvent s'entraîner gratuitement aux stands de tirs d'Azatezen.
Azatazen ne se contente pas d'organiser des stands de tir. Selon le site web de l'ONG, elle organise régulièrement des cours et des événements au cours desquels des experts internationaux transmettent leur expérience de la protection civile aux membres de l'organisation.
Le sujet semble toucher une corde sensible au sein de la population arménienne. Selon ses propres indications, Azatazen compte aujourd'hui plus de 1000 membres – et ce nombre devrait encore nettement augmenter. Sur son site web, l'ONG indique un objectif de 10 000 membres. Les membres peuvent non seulement apprendre à tirer dans le cadre de différents cours, mais aussi passer l'examen pour le permis de port d'armes ou apprendre des tactiques militaires.
Pour Areg, cette éducation est indispensable. Il est certain que l'Azerbaïdjan attaquera à nouveau son pays:
Les milices civiles pourraient alors devenir particulièrement importantes en cas de nouvelle guerre. Car l'armée arménienne n'est pas vraiment considérée comme une superpuissance militaire. Le «Global Firepower Report» place le petit pays du Caucase à la 90e place sur 145 des armées les plus puissantes du monde. Son voisin, l'Azerbaïdjan, occupe la 60e place (la Suisse est 45ème). L'armée arménienne comprend 57 500 hommes, tandis que l'Azerbaïdjan peut compter sur 126 000 soldats. A cela s'ajoutent 210 000 réservistes arméniens qui pourraient être mobilisés en cas d'attaque, soit bien 90 000 soldats de moins que l'Azerbaïdjan.
Mais l'armée arménienne est confrontée à un autre problème: la géographie du pays. L'Arménie est un Etat montagneux et de nombreuses routes ne sont pas conçues pour une utilisation militaire et civile simultanée. Ainsi, en cas d'attaque azerbaïdjanaise, il faudrait beaucoup de temps pour que les troupes puissent être déplacées vers le front. C'est aussi pour cette raison que les milices civiles sont si importantes pour l'Arménie.
Areg ne se prononce pas sur la question de savoir s'il combattra à nouveau en tant que soldat. Son objectif est de former la population civile au maniement des armes afin qu'elle puisse se défendre elle-même en cas d'attaque jusqu'à l'arrivée de l'armée.
*Nom connu de la rédaction
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci