Il n'y a guère que Barack Obama pour nous convaincre de dépenser 80 francs pour une conférence au thème obscur. On s'en tire bien: les plus motivés ont déboursé plus de 500 francs pour être placés au premier rang - voire 2500 supplémentaires pour les petits fours et un selfie avec l'ancien président des Etats-Unis.
A quelques heures de la conférence sobrement intitulée «Une soirée avec le président Barack Obama», samedi soir, on n'en sait guère plus. Selon un communiqué des organisateurs, la soirée débutera «avec des invités surprises extraordinaires». A moitié sérieux, on mise sur Rihanna ou Nicki Minaj. Pour le reste, mystère et boule de gomme.
Pour donner la réplique à Barack Obama, nul autre que le présentateur télé allemand Klaas Heufer-Umlauf. Si le personnage est proprement inconnu de nous autres, welsches, il s'est illustré en Allemagne pour «incitation au cannibalisme» - et, moins exotique, l'interview du chancelier Olaf Scholz.
18h20: Une alignée de polos Ralph Lauren, baskets On et sacs Vuitton font sagement la queue devant le stade d’une capacité de 15 000 places.
Ce soir, la gauche caviar zurichoise s'enfilera currywurst, portion de frites et binches tièdes à la buvette, avant de se marcher poliment sur les pieds pour rejoindre sa rangée. On a connu plus punk au Hallenstadion – la dernière fois, c'était pour faire dégouliner notre mascara et dignité au concert de Justin Bieber.
18h58, premier acte. Les «invités surprises extraordinaires» sont autant d'illustres inconnus. Florian Pachaly, Simona Scarpaleggia et Selma Kuyas (ça vous dit quelque chose, vous?) s'enfoncent dans un canapé pour discuter «productivity», «investisors» et «consumers»... avant de switcher vers l’allemand. On blêmit.
C’est ça, vraiment, qu’ils nous ont dégoté pour justifier la somme incroyable dépensée pour 20 minutes d’Obama sur les «opportunités de notre temps»?
19h25, les invités exceptionnellement superflus dégagent de la scène avec une précision toute zurichoise. Place à l'intermède musical. On prie pour que Nicki débarque et remue un peu tout ça. Ironie du sort, ce sera un certain Nigel Kennedy, violoniste (britannique) de son état. C’est joli et lyrique comme tout, mais bien loin de chauffer la salle – ou de stimuler nos voisins, âgés à gauche comme à droite, de plus de 70 ans.
19h52, la première rangée – la fameuse brochette des places à plus de 550 francs – est enfin complète.
20 heures, 0 minute et 0 seconde, le voilà. Barack. Col de chemise ouvert, veston cintré, cheveux grisonnants, sourire éclatant – enfin, pour ce qu'on en voit.
En fait, le 44e président des Etats-Unis s'est posé une heure plus tôt à l'aéroport de Zurich. Il a passé la journée à Barcelone, où il s'est sustenté de soleil, paella et visites de monastère avec sa femme Michelle, Bruce Springsteen et Steven Spielberg.
C'est d'ailleurs la première question que lui pose son interlocuteur, Klaas Heufer-Umlauf. Barack, il la vit bien, sa retraite? «Ouais, Michelle était sceptique», se marre l'intéressé. Avant d'évoquer ses 30 ans de mariage et sa lune de miel sur la côte ouest américaine.
Alors oui, sur le fond, ses réponses frisent la mièvrerie et ne se justifient que parce qu’elles sortent de la bouche de l’un des plus grands orateurs de l’Histoire. Barack pourrait passer une demi-heure à causer de ses tulipes qu'on l'écouterait quand même. Et Dieu merci, il ne se répand pas en conseils Linkedin. On grignote avec délice ses anecdotes sur le buffet de son hôtel ou une rencontre avec une vieille citoyenne américaine lambda.
De sa belle voix grave et limpide, Obama embraye sur le réchauffement climatique, la pandémie, la démocratie en crise, le rôle des jeunes générations, l'apport des nouvelles technologies, l'Ukraine et l'invasion de la Russie. Bref, les sujets du moment. Il aura même un petit mot pour son ex-vice président.
Applaudissements réguliers dans la salle aux rangs encore clairsemés – les 15 000 billets ne se sont pas tous écoulés. Nos voisins notent frénétiquement les quotes les plus inspirantes.
Il manque pourtant l'énergie des grands discours. Le mode interview devant des milliers de spectateurs fonctionne moyen pour transcender les foules. Barack ne (se) mouille pas la chemise. Pas une fois il ne quittera son fauteuil. Tout juste confesse-t-il son plus grand regret sous sa présidence (la régulation des armes à feu), sa plus grande fierté (Obamacare) et ses prochains plans de carrière (c'est nébuleux).
Après avoir conclu sur l'héritage qu'il souhaite léguer à l'humanité, le prix Nobel de la Paix nous fait un petit coucou, nous remercie et puis s'en va. Sa prestation aura duré une heure pile – bien plus que ce que l'on espérait. Selon la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), il aurait perçu pour la peine un montant à «six chiffres».
On s’extirpe du Hallenstadion aussi exalté que déçu. Comme dirait notre voisin, en quittant la salle: «Bah, ça reste Obama».