Il est là, bien au chaud, élaboré au détail près, depuis déjà quelques années: le plan en cas de décès du roi. Nom de code? «Menai Bridge». Bien sûr, il ne faut pas d'attendre à ce que le mot fatidique tombe de sitôt dans l'oreille du Premier ministre britannique. Même si l'annonce de son cancer a été un choc pour le Royaume-Uni, l'équipe médicale de Charles III, 75 ans, semble optimiste quant à ses chances de guérison. Toutefois, le plan existe. Et voici en quoi il consiste.
Rassurez-vous: quand Charles s'éteindra, le royaume ne se retrouvera pas tout à coup privé de souverain. Pas de discussion quand il s'agit de maintenir la continuité juridique de la monarchie. Comme le veut la tradition millénaire, à la seconde où le coeur du monarque cessera de palpiter, c'est son successeur héréditaire, William, qui deviendra roi. D'où la fameuse proclamation a priori un peu contradictoire:
Pour marquer officiellement son passage à l'état de roi, pas besoin de couronnement. Longtemps nécessaire pour légitimer le souverain de manière publique, de nos jours, il relève davantage d'une «simple» formalité symbolique et cérémonielle, notamment pour confirmer le monarque en tant que «gouverneur suprême de l'Eglise d'Angleterre».
D'ailleurs, de nombreux souverains de l'histoire britannique n'ont jamais eu droit à leur entrée triomphante dans l'abbaye de Westminster. Prenez ce pauvre Edward V, par exemple. Projeté sur le trône à l'âge de 12 ans après la mort subite de son père, en avril 1483, les préparations de son couronnement battent leur plein lorsqu'il «disparaît» mystérieusement. Programmée pour le 22 juin 1483, la cérémonie n'aura jamais lieu (et le malheureux Edward V ne sera jamais retrouvé).
D'autres couronnements ont été sacrifiés, faute à de mauvais timing (un laps de temps trop long entre l'avènement et la cérémonie) ou, plus pragmatiquement, un manque de moyens financiers. En 1831, en pleine période de dépression économique, on a quasiment dû supplier Guillaume IV d'organiser une mini-cérémonie. Cette dernière restera finalement gravée dans les annales royales comme l'une des plus «sobres» jamais organisées.
Mais revenons à nos moutons. A supposer qu'une cacahuète se perde malencontreusement dans l'œsophage de Charles, un plan détaillé est déjà prêt: «Opération Menai Bridge», du nom d'un pont suspendu au Pays de Galles. Souvenez-vous de l'opération similaire, «London Bridge», déclenchée le 8 septembre, à la disparition d'Elizabeth. Conçu dès les années 1960, quelques années seulement après le couronnement de la reine, le plan a été révisé à plusieurs reprises au cours des années précédant sa mort en 2022.
Pragmatisme britannique oblige, cette planification a débuté très tôt: Charles n'est pas roi depuis deux semaines lorsqu'un ancien officier de la protection royale confie, le 20 septembre 2022, à l'émission Today:
Au moment fatidique, le protocole édicté par le Palais est réglé comme du papier à musique. D'abord, c'est une «véritable cascade d'appels» qui seront donnés par ordre d'importance croissante. La famille de Charles sera la première informée de la triste nouvelle, suivi du Premier ministre Rishi Sunak, du secrétaire de cabinet, de plusieurs hauts ministres et responsables et, finalement, du grand public.
L'allocution à la nation de William, comme l'a fait Charles le 9 septembre 2022, est également déjà sur le papier. Pendant ce temps, le corps de son père sera déplacé de la salle du trône de Buckingham Palace à Westminster Hall, où il «reposera en état».
La coutume veut que des funérailles nationales se tiennent environ neuf jours après la mort du monarque (onze jours, dans le cas d'Elizabeth), avant son inhumation dans la «voûte royale» de la chapelle commémorative du château de Windsor, aux côtés des autres membres de la famille royale.
Une période de deuil de plusieurs mois sera ensuite instaurée avant le couronnement de William. Sa longueur a varié au fil des siècles: deux ans, par exemple, dans le cas d'Edward Ier, trop occupé à batailler pendant la neuvième croisade quand il a accédé au trône en 1272. Le roi Edgar, pour sa part, a patienté environ 15 ans après son avènement en 957. Ce qui est loin d'être le cas d'Harold II, en 1052, dont le sacre a été célébré au lendemain même du décès tragique de son prédécesseur.
Ce n'est que depuis le 19e siècle qu'on juge opportun de fixer cette période d'attente à une poignée de mois. Juste de quoi laisser le temps aux organisateurs royaux de transpirer un peu, afin peaufiner les innombrables détails de cette cérémonie séculaire. Une tradition qu'on ne souhaite pas voir se répéter de sitôt.