Certaines biographies royales ont le don de nous apprendre plus de secrets que d'autres. Le tout dernier ouvrage du journaliste Robert Hardman, publié ce janvier, est de ceux-là. Des dernières minutes d'Elizabeth II dans son château de Balmoral à sa redoutable crise de colère en découvrant le nom de Lilibeth, cette mine d'informations regorge de scoops qui ont fait la joie des médias du monde entier ces deux dernières semaines. Dans cette masse, un détail, et non des moindres, a bien failli passer inaperçu. Et pourtant, il change tout.
Dans son ouvrage, Robert Hardman mentionne en effet la relation de William avec la religion anglicane. Selon l'auteur, notre bon prince de 41 ans, bien que confirmé depuis l'âge de 14 ans, ne partage pas spécialement le «sens spirituel» de son père de roi. L'héritier du trône n'assiste qu'à une «poignée» de services chaque année, dont Pâques et Noël. Lui qui n'a aucune envie de se farcir le culte tous les dimanches matins ne s'estime donc pas très différent du Britannique moyen.
«Il respecte beaucoup les institutions, mais il n'est pas instinctivement à l'aise dans un environnement religieux», renchérit un autre haut responsable du palais auprès du Daily Mail. Au point que, selon Robert Hardman, même si l'héritier du trône considère que le couronnement de son père, en mai 2023, était une cérémonie «brillante», le sien sera non seulement plus court (idéalement, pas plus d'1h10), mais aussi plus «discret» et certainement moins «spirituel».
Et comme toujours dans l'orbite royale, il n'en fallait pas plus pour attiser des spéculations: au moment d'accéder au poste suprême, William provoquera-t-il la fracture ultime? Pourrait-il devenir le premier souverain en 500 ans à bousculer les liens entre l’Eglise et la Couronne et ne pas revendiquer le sacro-saint rôle de «gouverneur suprême de l'Eglise d'Angleterre»?
Pour comprendre d'où vient ce titre très long et très ronflant, il nous faut remonter un peu dans le temps. Enfin, un peu... beaucoup. Nous en sommes en 1531. L'impétueux Henri VIII règne sans partage sur l'Angleterre. A défaut de réussir à mettre en cloque sa première épouse, Catherine d'Aragon, même pas foutue de lui concevoir un héritier mâle, ce bon roi Catholique se met en tête de divorcer et d'épouser sa maîtresse, l'influente Anne Boleyn.
Privé de la bénédiction du pape, Henri prend la décision de fonder sa propre église, l'Eglise d'Angleterre, dont il devient le chef. Plus commode, vous en conviendrez. Cette rupture scandaleuse et fracassante ne l'empêchera pas de conserver son titre de «Défenseur de la foi et gouverneur suprême de l'Eglise d'Angleterre» que lui avait accordé le pape, au temps où tout allait bien.
On vous passe les détails de ce sinistre chapitre historique, qui s'achèvera par la décapitation d'Anne Boleyn et la mort peu reluisante d'Henri VIII, obèse et à moitié sénile. Reste que, pendant près de 500 ans, la monarchie a perpétué ses liens étroits avec l’Eglise anglicane.
Cette imbrication explique notamment pourquoi les héritiers successifs du trône avaient interdiction formelle d'épouser une catholique, et pourquoi ceux qui passaient outre cette obligation étaient automatiquement considérés comme «décédés» de mort naturelle dans la ligne de succession. Il faudra attendre 2013 (!) pour que la règle séculaire sur le mariage soit abolie. L'obligation du protestantisme, elle, demeure. Aujourd'hui encore, l'héritier du trône d'Angleterre, en raison des fonctions religieuses qu'il doit exercer, doit absolument être protestant. Pas de discussion.
Ces liens avec la religion expliquent encore bien d'autres bizarreries de la Couronne. Citons, par exemple, la fameuse formule: «Le roi est mort, vive le roi!». Selon la théologie, le roi (ou la reine) est pourvu de deux corps: l'un physique et mortel, l'autre politique, éternel et mystique. A la mort physique du souverain, cette partie de sa royale personne se retrouve transférée avec effet immédiat dans le corps de son successeur. Vous avez pigé?
Et s'il y a un moment où ce rôle de l'Eglise anglicane est le plus évident, c'est lors du couronnement. Si vous avez assisté à celui de Charles III cette année, vous avez peut-être été marqué par tout le tralala protocolaire et religieux déployé tout au long de la cérémonie de deux heures. Les serments, les symboles, l'onction de l'huile sainte, la communion, les hymnes religieux, les prières... Autant de traditions ancrées dans des siècles de droit canonique et qui font de cet évènement une cérémonie profondément chrétienne.
Prenez les regalia, par exemple, qu'on ressort du placard aussi bien pour le sacre que pour les funérailles des souverains. Orbe, sceptre et autres insignes d'or et de pierres précieuses ne sont pas seulement un symbole du pouvoir du monarque - ils sont également ceux de la «domination du Christ sur la Terre».
La question de la dévotion ne s'est jamais posée pour la grand-mère de William, feu Elizabeth II, fervente chrétienne qui se rendait à l'église chaque semaine. Sa foi, qui l'habitait bien au-delà du simple protocole et du devoir, l’a façonnée et guidée tout au long de sa vie. Il serait également à l'origine de son refus obstiné d’abdiquer, malgré son âge avancé.
En ce qui concerne son successeur, Charles III, les observateurs s'étaient demandé pendant des années le rôle que jouerait la religion dans le sacre du «jeune» souverain. Après tout, il est non seulement divorcé, mais on sait qu'il avait été agacé par le refus de l'Eglise anglicane de célébrer que son mariage en secondes noces avec Camilla, en 2005, avec un «service complet». Sans oublier la fascination bien documentée de ce monarque spirituel pour les autres religions, de l’islam à l'hindouisme, en passant par l’orthodoxie.
Finalement, après quatre derniers siècles de service presque exclusivement protestant, le couronnement de mai 2023 s’est révélé sans précédent dans son caractère inclusif, avec des membres d'autres confessions jouant un rôle actif dans le processus.
Aujourd'hui, alors que des recensements récents indiquent que moins de la moitié de la population britannique se considère comme chrétienne - et plus d’un tiers «sans religion», plusieurs observateurs saluent l'idée d'une monarchie laïque. «Le prince William devrait terminer ce que Charles a commencé – et rompre les liens ridicules entre l'Eglise et l'Etat», a approuvé vigoureusement le journaliste du Guardian, Simon Jenkins, dans un éditorial la semaine passée. «Si le prince de Galles souhaite que son couronnement soit - au moins - passablement moderne, légitimé par le consentement et l’acclamation du public, il devrait s’y préparer et le planifier dès maintenant.»
La coupure ne sera pas si simple. Contrairement à son lointain prédécesseur Henri VIII, William ne pourra pas en décider tout seul. Non seulement il aura besoin de l'aval du Parlement, mais, pour l'instant, il est légalement coincé. En vertu d'une loi datant de 1701, l'héritier du trône ne peut devenir roi sans être «en communion avec» l’Eglise d’Angleterre.
Aussi pesant soit-il, le futur «Défenseur de la foi et gouverneur suprême» n'est pas près de pouvoir se débarrasser de son titre.