Des mesures pour intimider les médias et des cadres supérieurs qui flattent le chef du gouvernement: on pourrait penser qu'il s'agit là d'un portrait de la Chine. Or, ce n'est pas une description de ce qui se passe à Pékin, mais à Washington.
Certains journalistes chinois n'en croient pas leurs yeux, comme Zhang Wenmin, qui a dû émigrer aux Etats-Unis en 2023 en raison de ses reportages jugés trop critiques par Pékin:
Wang Jian, un autre journaliste, a posté sur X:
Tout d'abord, un bref rappel historique: entre 1966 et 1976, Mao Zedong, alors dictateur de la Chine, a déclenché ce qu'on appelle la Révolution culturelle. Il a monté les étudiants contre leurs professeurs, et a encouragé les paysans et les ouvriers à se révolter contre leurs chefs, parce qu'il voulait renverser une prétendue élite et maintenir une révolution communiste permanente.
La Révolution culturelle chinoise a été une sale affaire. Des millions de personnes ont été tuées ou sont mortes de faim. La révolution était caractérisée par l'arbitraire et l'absence de droits. Les enfants dénonçaient leurs parents. Des soldats du parti inaptes, mais loyaux à Mao ont été hissés à des postes de direction. L'économie chinoise est tombée au niveau de l'âge de pierre.
On est bien d'accord, les Etats-Unis n'en sont pas encore là. Mais les Chinois qui ont vécu la Révolution culturelle sont tout de même perturbés. «Ils sont choqués par la politique américaine sous Trump», écrit le New York Times. «C'est surtout la manière dont les agences gouvernementales communiquent sur les réseaux sociaux qui les déconcerte. Selon eux, cela ressemble à la propagande du Parti communiste chinois (PCC)».
Le culte de la personnalité autour de Trump rappelle lui aussi dangereusement celle de Mao. Le président américain distribue depuis peu des casquettes de baseball sur lesquelles il est écrit:
Sa soif de flatterie est insatiable. «Même la propagande du Parti communiste chinois ne fait pas quotidiennement l'éloge de Xi Jinping», souligne Deng Haiyan, un ancien officier de police chinois.
La révolution culturelle de Trump a toutefois le même objectif que celle de Mao en son temps: détruire l'Etat existant et les institutions qui le soutiennent. C'est pourquoi il laisse libre cours à son président fantôme Elon Musk et laisse sa jeune troupe de démolisseurs sévir sans frein. Sans être légitimée par une élection, l'équipe Doge fait des ravages dans l'administration américaine et licencie des milliers d'employés en appuyant simplement sur un bouton. Tout cela rappelle les jeunes révolutionnaires déchaînés de l'époque de Mao.
Entrepreneur par excellence, Elon Musk n'a aucun égard pour les dommages qu'il provoque. Il ne se contente pas de licencier sans scrupules des collaborateurs qu'il a lui-même recrutés, il prend carrément plaisir à cela, comme Walter Isaacson le décrit encore et encore dans son livre Elon Musk. Chez SpaceX, son entreprise spatiale, Musk applique la même méthode: continuons avec les essais jusqu'à ce que cela fonctionne et n'hésitons pas à prendre de gros risques. C'est pourquoi ses fusées explosent de temps en temps.
Ce qui peut être un risque acceptable pour une entreprise privée est dévastateur pour une administration publique. «Doge n'améliore pas le gouvernement», constate le New York Times dans un éditorial.
Comme les révolutionnaires excités de Mao, la rage destructrice de la troupe Doge est dirigée contre les bastions supposés du «wokisme», c'est-à-dire contre les universités et contre les médias. Dans leur action désordonnée, ils commettent parfois des erreurs flagrantes. Ils licencient les spécialistes de la sécurité nucléaire pour devoir les réembaucher immédiatement. Ou ils renvoient des biologistes et des médecins qui étudient la grippe aviaire et risquent ainsi une nouvelle pandémie.
Pendant ce temps, Trump a lancé les Etats-Unis – et le monde entier – dans un parcours qui ressemble à des montagnes russes économiques. Tenez, les droits de douane: introduits, retirés, remis, etc. Même les spécialistes ont perdu la vue d'ensemble. Nul ne peut dire si tout cela obéit à un plan, et si oui, à quoi il pourrait bien ressembler. «Il dit tellement de choses et leurs contraires qu'il en devient inclassable», explique Julian Zelizer, professeur d'histoire à l'université de Princeton, dans le New York Times.
De la même façon, Trump entretient cruellement la confusion sur l'Ukraine. Il rembarre Volodymyr Zelensky, suspend l'aide militaire et les informations des services de renseignement, puis il fait volte-face et menace Poutine de sanctions, disant à l'Ukraine qu'elle continuera d'avoir accès à Starlink, le système d'information de Musk essentiel pour l'armée ukrainienne.
Mao a pu mener à bien sa révolution culturelle dévastatrice pendant dix ans. Il est peu probable que Trump y parvienne – le mécontentement monte déjà, de jour en jour. Même au sein du gouvernement, des critiques s'élèvent contre Doge, le ministère du dégraissage de la fonction publique. Le ministre des Affaires étrangères Marco Rubio et Elon Musk se seraient récemment livrés à une violente joute verbale.
Steve Bannon s'en prend violemment à Musk, pour d'autres raisons. «Ce n'est pas un nationaliste, c'est un globaliste», a-t-il récemment déclaré dans une interview au New York Times.
Les montagnes russes de Trump désorientent les managers comme les investisseurs. Les cours des bourses ont chuté massivement la semaine dernière, perdant tous les bénéfices réalisés après la victoire électorale de Trump. La Réserve fédérale d'Atlanta, une branche de la Banque centrale, prédit même que le produit intérieur brut chutera de 2,4% au premier trimestre.
Dans son discours début mars devant le Congrès, Donald Trump a déclaré haut et fort l'arrivée d'un «nouvel âge d'or» en Amérique. Cela ne semble pas être le cas actuellement. L'expression «Recession Trump» fait le tour du monde – et même le président n'arrive pas à la démentir.
La manière dont Trump parle aujourd'hui des marchés financiers a de quoi surprendre. Autrefois, il saluait chaque hausse des cours comme un signe de sa compétence économique. Depuis peu, il affirme qu'il est indifférent aux marchés. «Ecoutez, nous devons construire un pays fort», a-t-il déclaré dans sa plus récente interview avec Fox News.
Ce qui nous ramène à la Révolution culturelle de Mao.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci