En barrant la route du pouvoir au Rassemblement national, les Français dans leur majorité ont tenu à rappeler leur refus des idées racistes. Ils ont bien fait. Dans l’affaire, la lutte contre l’antisémitisme est passée au second plan. Un peu par la force des choses, puisque, pour donner le moins de sièges possible au RN à l’Assemblée nationale, il était convenu de faire «front républicain» contre l’extrême droite, avec La France insoumise (LFI).
Or, ce parti de la gauche radicale, comme toute la gauche radicale, du reste, quel que soit le pays, parfois dérape sur la question de l’antisémitisme. Le 7 octobre dernier, jour du massacre du Hamas en Israël, la formation de Jean-Luc Mélenchon publiait un communiqué qui minimisait les actes perpétrés, de nature terroriste, décrits comme une «offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas». Ce communiqué était rédigé par des proches du leader des insoumis.
Jean-Luc Mélenchon a tenu ces dernières années des propos plus qu’ambigus sur les juifs ou Israël: en juin 2021, un an avant l’élection présidentielle de 2022, il déclarait sur une radio publique française:
Des propos complotistes, pleins de sous-entendus, concernant notamment le terroriste islamiste Mohamed Merah, qui, en mars 2012 à Toulouse et Montauban, avait abattu des enfants juifs, ainsi que des militaires. Le propre du sous-entendu est d'insinuer le doute sur la version établie. Qui aurait bien pu vouloir la mort de ces militaires et de ces enfants juifs? A qui cela pouvait-il bien profiter? On se le demande... Suivez mon regard...
L’année dernière, critiquant le «soutien inconditionnel» de l’ex-présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, à Israël en guerre contre le Hamas suite au 7 octobre – elle rétropédala par la suite –, le même Jean-Luc Mélenchon l’avait accusée de «camper à Tel-Aviv pour encourager le massacre». Yaël Braun-Pivet est de confession juive. «Camper»: que devait-on comprendre? Quel drôle de mot, fort mal choisi.
Ce printemps, il s’en est pris au député socialiste Jérôme Guedj, juif aussi. La raison? Celui-ci avait critiqué la présence d’un logo sur une affiche annonçant la tenue d’une conférence à l’Université de Lille, à laquelle devait participer le chef insoumis et qui fut interdite par la préfecture. Ce logo montrait la Palestine d’un seul bloc, sans référence à Israël.
Jean-Luc Mélenchon, qui avait en travers de la gorge l’interdiction de la conférence, qualifia Jérôme Guedj de «lâche de cette variété humaine que l'on connaît tous, les délateurs, ceux qui aiment aller susurrer à l'oreille du maître». «Variété humaine», on appréciera. Il ajoutait, toujours à propos de Jérôme Guedj:
Encore et encore le sous-entendu, la phrase codée, le dog-wisthle, dit-on en anglais. L’image de la laisse, du piquet et des adhésions ne ferait-elle pas référence au judaïsme du député, allégeance suprême? Jerôme Guedj a été réélu dimanche, sans avoir demandé le soutien de La France insoumise.
En Seine-Saint-Denis, un député LFI a été élu dimanche. Le 12 mai, lors la campagne des élections européennes, ce même député avait qualifié Raphaël Glucksmann, le chef de file de la liste de gauche Place publique, de «candidat sioniste de la droite libérale de gôche (sic)». «Sioniste» pour «juif»? Cette attaque aurait pu valoir à son auteur, dont le compte X est ou était «truffé de références aux "Juifs" et aux "Blancs"», selon Le Figaro, de ne pas être investi candidat aux législatives par La France insoumis. Eh bien, il l’a été.
Dans un éditorial du 22 juin dénonçant «l’antisémitisme de droite ou de gauche», le quotidien Le Monde, condamnait les «sous-entendus nauséabonds» de Jean-Luc Mélenchon et reprochait à La France insoumise d’avoir accordé «son investiture à des candidats qui traitent Raphaël Glucksmann de "sioniste" ou assimilent le Hamas à un mouvement de "résistance"».
Le Rassemblement national, de son côté, s'est posé en protecteur des juifs de France. Une façon de faire oublier son passé antisémite et une manière de désigner l'«islamisme» comme la principale source, aujourd'hui, d'antisémitisme. Sauf que le parti d'extrême droite a été rattrapé par la patrouille durant la brève campagne des législatives. Le journal Libération a répertorié «plusieurs dizaines» de candidats RN ayant «été épinglés notamment pour des propos et des prises de position contre les juifs». Parmi eux, une candidate dans la 10e circonscription de Paris – éliminée au 1er tour – qui, au fil des dernières années, a qualifié les juifs de «peuple de trop» sur X.
A gauche, hormis chez certains LFI ou socialistes romands, où l’«antisionisme» de Dieudonné et Soral a pu infuser, personne, en principe, n’emploie l’expression «les sionistes» pour désigner on ne sait trop qui. Le terme «sioniste» étant de nos jours défavorablement connoté, son emploi autorise une critique supposément légitime d’un parti-pris pro-israélien. Parti-pris d'autant plus mal vu dans le contexte actuel des bombardements meurtriers de Tsahal à Gaza.
Sauf que, sur un plan historique, «sioniste» renvoie à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Tout juif attaché à l’existence d’Israël est par définition sioniste, ce qui ne préjuge en rien de son soutien au gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou ou à la politique de colonisation de la Cisjordanie.
Aussi est-on étonné de retrouver l’expression «les sionistes», lundi, dans le sous-titre d’un article de 24 Heures relatant la controverse liée à l’invitation adressée par la municipalité de Lausanne pour le 1ᵉʳ Août au Suisse Philippe Lazzarini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Israël reproche à l’UNRWA d’être compromise avec le Hamas, ce dont Philippe Lazzarini se défend.
«La droite et les sionistes», écrit le quotidien vaudois, sont opposés à la présence du commissaire général de l'UNRWA comme invité d’honneur de la municipalité lausannoise, majoritairement de gauche, aux réjouissances de la fête nationale. Ces opposants jugent «clivante» la personnalité de Philippe Lazzarini, ce qui se prête mal, selon eux, à la convivialité présidant à ce moment.
Citée par 24 Heures, la présidente du Parti socialiste lausannois, Sarah Neumann, rétorque:
Mais pourquoi donc parler des «sionistes», quand il suffirait d'évoquer des juifs lausannois ou la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud? L'auteur de l'article a peut-être estimé qu'il n'était pas choquant de recourir à ce terme, en l'occurrence au pluriel, assorti de l'article défini «les», dès lors que, dans son article, l'ancienne députée verte et magistrate à la Cour des comptes, Anne Weill-Lévy, de confession juive, se définit comme une «sioniste de gauche».
Le président de la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud, Elie Elkaim, a, pour sa part, le 26 juin, écrit au syndic Grégoire Junod pour lui dire notamment ceci:
On peut craindre que l'expression «les sionistes», sans autre précision, puisse être comprise par certains comme la désignation de soutiens au régime de Netanyahou, son acception courante sur les réseaux sociaux hostiles à l’Etat juif, et non comme la dénomination de juifs favorables, en soi, à l’existence d’Israël, ce qui n'est pas toujours bien considéré non plus par les «antisionistes». Quoiqu'il en soit, le terme est polémique et plutôt dépréciatif, voire insultant, dans son usage courant.