Gaza: il est temps d'écouter la foule
Vendredi dernier, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue en Italie pour dénoncer l'arrestation des militants de la flottille pour Gaza, appréhendés par l'armée israélienne dans les eaux internationales. Une mobilisation inédite pour la péninsule, à laquelle Giorgia Meloni a répondu ainsi: les manifestants voulaient seulement allonger leur week-end.
Ce n'est que le dernier exemple du fossé qui s'est creusé entre une (bonne) partie de la population occidentale et ses gouvernants au cours des deux dernières années. Alors que la première manifeste régulièrement sa colère contre le massacre insoutenable de la population palestinienne, les deuxièmes réagissent de manière évasive ou méprisante - ou ne réagissent pas du tout.
Après le choc du 7 octobre 2023 et la sidération globale suscitée par l'attaque du Hamas, le vent a progressivement commencé à tourner contre Israël, dont la réponse militaire s'est graduellement muée en nettoyage ethnique explicite et assumé.
La dégradation des conditions à Gaza et la brutalité croissante des opérations israéliennes ont provoqué un sursaut citoyen qui s'est d'abord manifesté dans les rues et les places de nos villes - alors qu'une large partie du monde politique européen assistait à ces événements sans broncher.
Les deux enseignements du conflit
Deux ans après la reprise du conflit israélo-palestinien, la fracture entre la société civile et la classe politique occidentales ne cesse de s'élargir. Car cette guerre a montré deux choses. La première, c'est que la population est loin d'être apathique et individualiste. Beaucoup de personnes sont encore capables de s'insurger et d'exprimer haut et fort leur désaccord, de manière transversale et bien au-delà des seuls cercles militants.
Bien sûr, on ne parle pas de l'ensemble de la population. Mais limiter ces manifestations à une poignée de «radicaux» revient à faire preuve d'une mauvaise foi flagrante. Surtout, cela équivaut à nier la réalité - les rassemblements spontanés organisés vendredi dernier dans toute l'Europe, Suisse comprise, le démontrent. Environ 3000 personnes ont défilé à Genève, 10 000 à Paris, 90 000 à Madrid et jusqu'à un million et demi en Italie, selon les syndicats.
Les (rares) violences ayant accompagné ces défilés, ainsi que le recours à des slogans controversés, ne doivent pas servir de prétexte pour minimiser ce qui se déroule dans l'enclave palestinienne.
Parallèlement, et c'est le deuxième enseignement de ce conflit, les dirigeants occidentaux se sont jusqu'à présent distingués par une mollesse hors pair. La plupart d'entre eux ont longuement attendu avant d'adresser la moindre critique à Israël.
Ce n'est qu'au printemps de cette année que certains gouvernements ont commencé à exprimer des réserves, prudentes et modérées. Alors même que le bilan dépassait déjà les 53 000 morts et que les crimes de guerre imputés à l'armée israélienne étaient amplement documentés.
L'importance des mesures concrètes
Notre Conseil fédéral en sait quelque chose, son silence sur la question étant honteux et assourdissant. Mais même les pays les moins «prudents» se sont limités à quelques déclarations et à des actions davantage destinées à apaiser les opinions publiques qu’à faire une vraie différence - pensons au parachutage d'aide humanitaire.
Seule l'Espagne a adopté des mesures concrètes, dont l'interdiction de l’importation de produits «provenant des colonies illégales à Gaza et en Cisjordanie», ou l’embargo sur les ventes d’armes à Israël, que le pays applique déjà de facto depuis octobre 2023.
Les autres pays européens feraient mieux de lui emboîter le pas. Certes, ce type de mesures ne va pas mettre fin à la guerre - et personne ne s'attend à ce que cela soit le cas. Mais elles permettraient d'exprimer une condamnation claire et explicite des atrocités qu'Israël commet dans les territoires palestiniens.
Tant qu'aucune action concrète n'est entreprise, nos gouvernants donneront toujours l'impression de cautionner ces agissements. Il est grand temps qu'ils écoutent ce qu'une partie croissante de leurs citoyens leur reproche, et qu'ils se rangent enfin du bon côté de l'Histoire.