A force d'être exposé à ces récits à longueur de journée, on pense qu'on va finir par s'y habituer. Qu'on va s'accoutumer à l'horreur sans nom qu'Israël inflige à la population de Gaza depuis bientôt deux ans, quotidiennement et sous nos yeux. Il n'en est rien. Chaque jour, on tombe sur une nouvelle salve de dépêches d'agence qui nous glacent le sang, nous laissent sans voix, et nous démontrent que la cruauté et l'atrocité ne connaissent aucune limite.
Pas plus tard que ce mardi, on apprenait qu'au moins 21 enfants palestiniens sont morts de faim dans la bande de Gaza, au cours des dernières 72 heures. Morts à cause d'une famine qui n'a rien d'une fatalité, elle a été orchestrée et mise en œuvre par les autorités israéliennes. Le même jour, l'ONU annonçait que plus de 1000 personnes ont été tuées depuis la fin mai par les soldats de Tsahal, alors qu'elles tentaient d'obtenir un colis de nourriture.
Un jour plus tôt, le Programme alimentaire mondial déclarait que près de 100 000 femmes et enfants souffrent actuellement de malnutrition aiguë sévère, alors qu'un quart de la population de Gaza est confrontée à des «conditions proches de la famine».
Et cela, répétons-le, est totalement volontaire. L'UNRWA, qui était responsable de la distribution de l'aide à Gaza, a affirmé samedi disposer de «suffisamment de nourriture pour nourrir l'ensemble de la population gazaouie pendant trois mois». De la nourriture stockée juste de l'autre côté de la frontière, et qu'Israël refuse de faire entrer dans l'enclave.
La situation est tellement critique que même les travailleurs humanitaires sont victimes de la malnutrition. Beaucoup d'entre eux, de plus en plus faibles à cause de la faim et de l'épuisement, s'évanouissent et n'arrivent plus à venir en aide à la population, dénoncent plusieurs ONG.
Les rares reporters restés sur place affrontent des conditions similaires. «Depuis 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n’a le souvenir d’avoir vu un collaborateur mourir de faim», a écrit l'Agence France Presse (AFP) dans un message très poignant, diffusé ce lundi.
Face à ces chiffres, à ces histoires, notre cerveau déraille. Comment est-il possible d'atteindre un tel niveau d'inhumanité? Et, surtout, comment de tels agissements peuvent-ils se dérouler à découvert, en 2025, par la main d'un pays considéré comme une démocratie et avec lequel la plupart des Etats dits occidentaux entretiennent des relations diplomatiques et commerciales?
Certes, nos décideurs politiques commencent à s'insurger. Mais cette indignation reste, pour l'heure, purement rhétorique. Les ministres des Affaires étrangères de 27 pays ont beau sommer Israël de mettre «immédiatement» fin à la guerre. Il s'agit d'une réaction molle et fondamentalement inutile, trop timide et excessivement tardive. Tant qu'aucune action concrète n'est entreprise, nos gouvernants donneront toujours l'impression de cautionner ces agissements.
Face à cette inaction, la seule chose qu'il nous reste, à nous, les simples citoyens, est de ne jamais détourner le regard. Ne jamais arrêter d'exprimer notre désaccord, haut et fort. Ne jamais arrêter de s'indigner et, en fin de compte, ne jamais s'habituer à l'horreur.