Après le vote sismique en faveur du Rassemblement national aux européennes et la profonde incertitude créée par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron se devait de reprendre la main pour indiquer un cap. C’est à cette tâche qu’il s’est astreint mercredi 12 juin face à la presse. Pour lui, étant donné l’urgence de la situation, c’était un quitte ou double, un fusil à un coup. Le chef de l’Etat aura-t-il convaincu les Français de la nécessité – le but de sa prise de parole – de barrer la route du pouvoir à l’extrême droite, ainsi qu'il nomme le RN?
Qu’on aime ou non Emmanuel Macron, force est de constater qu’il est apparu incroyablement serein dans un moment chaotique. Zen, même. Ses partisans diront qu’il a été magistral. Comme si – ce n’est pas un compliment – ce président avait besoin de crises majeures pour être au meilleur de sa forme. Comme si, et c'est déjà plus grave, il avait provoqué le chaos de la dissolution dans le seul but d'apparaître tel un De Gaulle en sauveur du pays face aux démons de l'extrémisme. Mais laissons là ce procès en narcissisme pour attaquer le fond.
Quel message Emmanuel Macron a-t-il voulu faire passer? Il a été assez direct. La situation ne permettait pas de finasser. Ce n’est plus une majorité présidentielle, sous-entendu autour de sa personne, qu’il propose, mais un rassemblement contre les extrêmes. Il s’est adressé aux sociaux-démocrates, aux gaullistes, aux démocrates-chrétiens, aux écologistes. Il leur soumet une coalition de gouvernement, une sorte d’union nationale excluant le Rassemblement national et La France insoumise, l’extrême droite et l’extrême gauche, a-t-il dit.
Dans son viseur, à l’approche des législatives des 30 juin et 7 juillet: le nouveau «front populaire», qui réunit dans un accord électoral scellé lundi les quatre principales formations de gauche du pays: la France insoumise, le Parti socialiste, les écologistes et le Parti communiste. Succédant à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, la NUPES, ce nouveau front populaire, ainsi nommé en référence à celui de 1936, pense être en mesure de faire barrage au RN, tout en battant Renaissance, le parti présidentiel douché aux européennes.
Or, la volonté d’Emmanuel Macron est de rendre moralement honteuse cette alliance à gauche, qu’il qualifie d’«indécente». Il s’en est pris à sa principale force organisatrice, La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, rangée parmi les extrêmes avec le RN. Il a fustigé ce parti, qui s’est «rendu coupable d’antisémitisme, de communautarisme, d’antiparlementarisme». «Léon Blum doit se retourner dans sa tombe», a-t-il dit, en référence à celui, juif, qui dirigea le gouvernement de Front populaire en 1936.
Le président de la République parviendra-t-il à fragiliser ce cartel des gauches? Dans l’affaire, ce sont surtout le Parti socialiste et sa tête de liste aux européennes, Raphaël Glucksmann, un social-démocrate que tout oppose à LFI, qui l’intéressent dans l’optique d’un gouvernement multipartite.
A présent, la droite. Emmanuel Macron sait que ses forces et celles de Raphaël Glucksmann, si ce dernier répond à l'appel, ne suffiront pas à former une majorité de gouvernement. D’où sa diatribe contre le président des Républicains (LR), Eric Ciotti, qui a «fait un pacte du diable» en s’alliant au RN. Les barons de LR n’ont pas de mots assez durs pour qualifier le ralliement du Niçois à l’extrême droite. Pour le punir, ils l'ont exclu du parti. Emmanuel Macron leur dit en substance: ne laissez pas le RN arriver au pouvoir, il en coûterait à l’économie du pays, à vos intérêts. Se joindront-ils, avec leur base toujours plus maigre, à la coalition souhaitée par le chef de l’Etat?
Le «programme» d’Emmanuel Macron sur les questions régaliennes et plus largement des valeurs a de quoi convaincre les chefs LR: autorité, sécurité, laïcité. Il annonce ce «serrage de vis» qu’un électeur RN d’Annemasse, en France voisine, nous disait souhaiter en début de semaine. On ne voit pas trop ce qui distingue ce programme-ci de celui du RN sur ces mêmes thèmes. Emmanuel Macron a sa réponse: «L’extrême droite sort des principes constitutionnels pour appliquer» ses potions. Comprendre: pas nous.
Tout le monde est prévenu, semble indiquer le président de la République, qui a eu le bon goût d’admettre une part de responsabilité dans la situation critique que connaît la France depuis dimanche.
A vrai dire, au vu des engagements économiques et des alliances stratégiques de la France, au vu de son rôle en Europe, au vu de beaucoup de choses, la «fédération de projets» proposée par Emmanuel Macron, le gouvernement sans les extrêmes qu’il préconise, apparaissent comme la meilleure solution. Il aurait pu y penser il y a deux ans, au début de son deuxième mandat, alors qu’il n’avait pas plus qu’aujourd’hui de majorité pour gouverner. Mais aujourd’hui et selon la formule consacrée, l’heure est grave.
Toute la question est de savoir si Emmanuel Macron, dont la personne provoque un rejet dans une large partie de l'opinion, dispose d'assez de jours d'ici au premier tour du 30 juin pour convaincre suffisamment de Français de lui accorder une majorité de gouvernement. Casser en si peu temps la dynamique RN s'annonce très difficile.