C’est sous les cris de «ne nous trahissez pas!» d’une jeunesse rassemblée contre l’extrême droite lundi tard dans la soirée à Paris, que les quatre partis de gauche qui siégeaient il y a peu encore à l’Assemblée nationale ont annoncé un accord électoral. Selon lequel chacune des formations contractantes – Insoumis, socialistes, écologistes et communistes – s’engage à ne présenter qu’un candidat commun par circonscription aux législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet.
Seul moyen, pour une gauche qui a beaucoup perdu de ses forces en quinze ans, de s’assurer d’une députation qui ne soit pas riquiqui à la Chambre basse. Partir en ordre dispersé serait risquer de ne pas atteindre le quorum de 12,5% des inscrits nécessaires au premier tour pour pouvoir concourir au second.
Mais il y a un problème. Pour la gauche sociale-démocrate incarnée par Raphaël Glucksmann, dont la liste Place publique est arrivée première des formations progressistes dimanche aux européennes, combattre le «fascisme» du Rassemblement national avec des éléments «antisémites», n’est tout simplement pas envisageable.
Jean-Luc Mélenchon et une partie de ses lieutenants sont ici visés. Depuis plusieurs années, le chef de file des Insoumis multiplie les allusions antisémites. Celles-ci par exemple: «Corbyn (réd: l’ancien leader travailliste britannique) a perdu les élections à cause du grand-rabbin d’Angleterre», «Jésus tué par ses compatriotes». Il y en a bien d'autres.
Qu’on ait considéré, à LFI, au lendemain du massacre du 7 octobre, le Hamas comme un «mouvement de résistance», a contribué à faire voler en éclats la NUPES, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, l'alliance de gauche créée pour les législatives de 2022. Dimanche 9 juin, un jour avant que les quatre partis de gauche ne scellent leur accord électoral, une foule rassemblée place de la République à Paris scandait:
Pour la gauche sociale-démocrate, que tout ou presque oppose aux Insoumis, notamment des haines, le Parti socialiste, en se joignant à LFI pour la signature de cet accord, a «trahi». «Front populaire», le nom pris par cette alliance électorale censée relancer la NUPES, ajoute au dégoût que ressentent certains. Tel l’avocat Patrick Klugman, un ancien président de l’Union des étudiants juifs de France, qui refuse qu’on associe le souvenir de Léon Blum, juif, président du gouvernement de Front populaire de 1936, au parti de Jean-Luc Mélenchon.
Accoler la LFI au Front-Populaire c’est salir la gauche et l’histoire et surtout l’histoire de la gauche démocratique et dreyfusarde et tout particulièrement la figure de Leon Blum. Blum est au socialisme ce que Melenchon est au crachat. Puissent ces deux catégories ne pas se… pic.twitter.com/ww2Ya5dxN5
— Patrick Klugman (@PKlugman) June 11, 2024
Quant à Raphaël Glucksmann, soutenu par le PS aux européennes, à moins que ce ne soit le PS qui lui doive beaucoup dans l'affaire, il a déclaré mardi qu’il refusait un front populaire «aux conditions de LFI». Il écrit sur ses réseaux:
Les voici: «Le soutien à la construction européenne, l'aide militaire à la résistance ukrainienne, la suppression de la réforme des retraites et de l'assurance chômage, l'accélération de la transition écologique, le refus de la brutalisation du débat public». Glucksmann aurait pu ajouter la défense de la laïcité et le refus du communautarisme.
Si les thèmes sociaux font pour l'instant l’unanimité à gauche, il n’en va pas de même de l’Europe et de l’Ukraine. Sur ces sujets, Jean-Luc Mélenchon couche sur des positions proches du Rassemblement national: favorable à un protectionnisme économique renforcé au sein de l'UE et pour des négociations de paix sans attendre avec la Russie, quand bien même l’Ukraine se trouve en position de faiblesse.
Raphaël Glucksmann cherche, on l'a compris, à marginaliser LFI. C’est pourquoi il a proposé que Laurent Berger, un ancien dirigeant syndical réformiste, et non pas révolutionnaire, soit nommé premier ministre si d'aventure la gauche – hypothèse en soi très improbable – gagnait les législatives anticipées. De même souhaite-t-il à présent élargir l’accord conclu lundi soir à gauche aux députés centristes du groupe LIOT (Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires).
Observation de Bruno Cautrès, chercheur au Centre de la vie politique française (CEVIPOF):
Olivier Faure, le flegmatique premier secrétaire du Parti socialiste, pourrait montrer des signes d'agacement, selon Bruno Cautrès:
Les socialistes et Raphaël Glucksmann avec eux n'ont cependant pas dit leur dernier mot, selon Bruno Cautrès. Ils rappelleront à LFI que Place publique, avec 13,83%, a fait mieux que les 9,1% de La France insoumise aux européennes.
En prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a cassé, du moins provisoirement, les plans de Raphaël Glucksmann pour une refondation de la gauche sans LFI. Pour le PS, les communistes et les écologistes, il faut à nouveau composer avec la gauche de Jean-Luc Mélenchon – celui-ci s’est mis ou a été placé, pour l’heure, en retrait des tractations en cours et de tout scénario de premier ministrable.
Raphaël Glucksmann sera-t-il tenté de partir dans la bataille avec des candidats Place publique face aux candidats uniques de la gauche? Bruno Cautrès ne le lui conseille pas, comprend-on: