Le résultat des élections européennes fait bouger les marchés financiers. Lundi, l'euro s'est nettement déprécié par rapport au franc; il ne se situait plus qu'un peu au-dessus de 96 centimes en fin d'après-midi. La dernière fois que le cours de la devise a évolué à ce niveau, c'était en mars, lorsque la Banque nationale suisse – un trimestre avant la Banque centrale européenne – a sonné le tournant des taux d'intérêt en abaissant le taux directeur pour le franc de 1,75% à 1,5%.
Ce sont avant tout les électeurs français qui ont mis un terme brutal au pic intermédiaire de la monnaie unique européenne. La perspective que le parti d'extrême droite Rassemblement national autour de Marine Le Pen et son poulain Jordan Bardella prenne les commandes de la politique française a manifestement incité de nombreux investisseurs en Europe à réduire leur exposition aux titres français, comme l'a également montré la chute de l'indice phare des actions françaises, le Cac 40, de plus de 2% par moments.
Cette baisse de l'Euro est, il faut le noter, une bonne nouvelle pour les vacanciers suisses. En effet, le taux de change est profitable, car, pour l'heure, avec environ 95 centimes, vous achetez un euro.
Raphael Olszyna, économiste à la Banque J. Safra Sarasin à Zurich, parle d'un comportement de «risk-off» des acteurs du marché, qui commencent déjà à anticiper le scénario fou d'une «cohabitation», c'est-à-dire un gouvernement mixte avec un président de la République Emmanuel Macron favorable à l'Union européenne (UE) et un premier ministre du camp Le Pen hostile à l'UE:
«L'expérience montre que les gouvernements populistes ont tendance à exagérer les dépenses», continue Raphael Olszyna, en faisant référence aux promesses généreuses avec lesquelles le parti de Marine Le Pen veut renforcer le pouvoir d'achat du grand public.
Pourtant, les finances publiques françaises sont déjà mal en point. L'année dernière, l'endettement s'élevait à 109% du produit intérieur brut et le déficit courant atteignait 5,5% du PIB. Si la France s'était présentée à la fin des années 1990 avec de telles valeurs en demandant à être incluse dans le projet de monnaie unique, sa requête aurait été rejetée selon les critères d'endettement de Maastricht (maximum 60%).
Certes, la France n'est pas le seul pays de l'UE dont le bilan de la dette est mauvais, mais l'Hexagone fait partie, avec l'Allemagne, des garants de la stabilité de la monnaie unique. Dans ce contexte, la situation politique confuse à Paris est pour le moins préoccupante pour les investisseurs.
Ross Hutchison, stratège de marché pour l'Europe au sein du groupe d'assurance Zurich, souligne que la récente hausse des rendements des emprunts d'Etat français à dix ans reflète l'augmentation de l'incertitude. Les obligations de référence françaises rapportent actuellement environ 3,2%, soit 0,55 point de pourcentage de plus que les obligations allemandes comparables. La différence, appelée «spread» dans le jargon, décrit la majoration du taux d'intérêt que les investisseurs exigent pour le risque français plus élevé. Le différentiel de taux a augmenté de 0,13% lundi.
La France devra probablement se soumettre, à la fin du mois, à une procédure européenne pour violation des règles budgétaires. La Commission européenne devrait insister pour que le déficit galopant soit corrigé plus rapidement. Mais aucun économiste n'est en mesure de prédire à quoi pourrait ressembler l'assainissement des finances publiques en cas de cohabitation.
«La France a encore beaucoup à faire si elle veut maîtriser la dynamique de l'endettement», explique Ross Hutchison. Mais on est encore loin d'une panique sur les marchés. Depuis le début de l'année, l'écart de taux d'intérêt avec l'Allemagne a légèrement évolué en faveur de la France, notamment en raison de la faiblesse de l'économie allemande. Aujourd'hui, l'écart est simplement revenu à son ancien niveau.
Ross Hutchison estime que le mouvement de hausse du franc par rapport à l'euro est toujours «plutôt faible». Enfin, les élections européennes ne se sont pas déroulées partout comme en France. En Allemagne, l'AfD a certes aussi fortement progressé, mais pas assez pour que le chancelier Olaf Scholz se sente déjà obligé de convoquer des élections anticipées.
Avec Fratelli d'Italia, les populistes de droite se sont certes hissés au sommet de la troisième économie d'Europe. Mais la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni n'a pas adopté une attitude conflictuelle vis-à-vis de Bruxelles, sachant que la Communauté soutient le pays avec des aides financières de plusieurs centaines de milliards. Vu sous cet angle, le glissement à droite en Europe ne devrait pas encore entraîner une déstabilisation de l'euro. Mais les élections européennes n'ont pas non plus été un signe de stabilité, comme en témoigne le changement d'orientation du franc, somme toute assez net.
Traduit et adapté par Tanja Maeder