Trump veut détruire des contraceptifs stockés par une entreprise suisse
Les entrepôts font rarement la une des journaux. Discrets, ils assurent la logistique du commerce mondial, loin des regards. Mais celui de Geel, une ville belge à une heure d’Anvers, est devenu le centre d’une affaire diplomatique. Sur ce bâtiment gris, bardé de tôle, figure un nom bien connu: Kühne + Nagel, géant suisse de la logistique basé à Schindellegi (SZ).
L’entreprise s’est retrouvée, sans l’avoir cherché, au cœur d’un différend entre les Etats-Unis et l’Europe. «Une situation malheureuse», confie un proche du dossier. En cause: des biens humanitaires d’une valeur de 9,7 millions de dollars américains, entreposés dans le centre de distribution de Geel.
Une destruction sur fond d’idéologie
Ces biens appartiennent à l’ex-agence américaine de développement USAID, récemment dissoute par Trump. Il s’agit de millions de contraceptifs destinés à des pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne: pilules, stérilets, implants hormonaux. Achetés sous l’administration Biden, ils ont été stockés chez Kühne + Nagel. Mais en juin dernier, le gouvernement Trump a ordonné leur destruction, bien qu’ils soient utilisables jusqu’en 2031.
Le département d’Etat a justifié cette décision par une affirmation erronée: certains produits serviraient à provoquer des avortements. «Le président Trump défend la vie des enfants à naître dans le monde entier», a déclaré une porte-parole de USAID au New York Times:
Pourtant, aucun abortif ne figure sur la liste des biens stockés à Geel. La loi interdit à USAID d’en acheter. Les critiques se sont donc multipliées. «Une décision purement idéologique», a dénoncé l’organisation belge Sensoa, spécialisée en santé sexuelle.
La Belgique intervient
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement belge tente d’empêcher cette destruction. Le ministre des affaires étrangères, Maxime Prévot, a même écrit à son homologue américain Marco Rubio, sans succès.
Plusieurs organisations, dont la Fondation Gates et la Fédération internationale pour la planification familiale, ont proposé de racheter les contraceptifs, afin d’éviter un gaspillage de fonds publics. Le gouvernement américain a refusé et indiqué qu'il tenait à la destruction du matériel – une opération qui coûterait pourtant 167 000 dollars supplémentaires.
Une rumeur a circulé: les produits auraient déjà été détruits. C'est ce qu'a affirmé le 11 septembre une porte-parole de USAID au New York Times. Les autorités régionales belges ont aussitôt démenti.
Selon le ministère flamand de l’Environnement, «les biens sont toujours sur place, intacts». L’opération est «gelée pour l’instant». La Belgique continue ses démarches diplomatiques et se dit prête, le cas échéant, à bloquer la destruction sur le plan juridique.
Kühne + Nagel dans une position délicate
Chez Kühne + Nagel, le sujet est sensible. USAID est un client de longue date, et le dernier mot sur la marchandise lui revient, quelles que soient les considérations morales. Les produits ne seraient pas détruits sur le site de Geel, mais dans une usine d’incinération spécialisée dans les déchets médicaux. L’entreprise suisse assure qu’elle ne participera ni au transport ni à la destruction. Le lieu exact et les prestataires chargés de l’opération restent inconnus, bien que la presse française évoque la France comme destination probable.
Selon nos informations, Kühne + Nagel a tenté, par l’intermédiaire de sa fondation, de sauver ces biens. La Kühne Foundation soutient des projets dans les domaines du commerce mondial, de la santé et de la culture. Mais là encore, Washington a opposé un refus catégorique.
La pression monte. A la mi-septembre, des dizaines de manifestants se sont rassemblés devant l’ambassade américaine à Bruxelles, parmi eux des représentants de grandes ONG. Ils appellent l’Union européenne à «faire preuve de leadership» et à «utiliser tous les leviers diplomatiques et juridiques pour empêcher ce gaspillage de biens vitaux».
L’organisation britannique MSI Reproductive Choices, également prête à racheter la marchandise, s’indigne: «La destruction délibérée de contraceptifs valant près de dix millions de dollars, sous le prétexte mensonger qu’il s’agirait de produits abortifs, est un acte de cruauté révoltant. Cette décision coûtera des vies humaines, compromettra des années de progrès en santé mondiale et privera des millions de personnes des moyens essentiels de planifier leur famille et de protéger leur santé».
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder