C'est bien connu. Chez les Trump, on gère le business en famille. Après les enfants et les beaux-enfants, c'est tout naturellement du côté des beaux-parents que le président élu est allé prospecter ce week-end - pour nommer coup sur coup Charles Kushner, beau-père de sa fille Ivanka, et Massad Boulos, beau-père de sa cadette Tiffany, nommés respectivement ambassadeur américain en France et conseiller principal pour les affaires arabes et du Moyen-Orient.
Si l'on commence à avoir l'habitude de voir Donald Trump aller piocher dans ses cercles les plus proches, le choix de Charles Kushner n'en reste pas moins une sacrée surprise. Car le parcours du père du gendre idéal Jared Kushner, ancien conseiller de Trump à la Maison-Blanche lors de son premier mandat, n'a rien d'un long fleuve tranquille.
Kushner. Un nom familier à New York. Qui, comme celui de Trump, évoque à la fois l'immobilier, la fortune, la construction, une dynastie familiale, une ambition sans bornes, mais aussi une chute brutale, des trahisons, autant de scandales et de tourbillons judiciaires.
C'est peu dire que Donald Trump, 78 ans, et Charles Kushner, 70 ans, partagent de nombreux points communs. Tous deux ont grandi au sein de familles immigrées d'Europe pressées d'apposer leur marque sur le paysage de buildings new-yorkais. A l'instar du père de Donald Trump, c'est sur l'immobilier résidentiel que le géniteur de Charles, Joseph, a jeté son dévolu.
Rescapé de l'Holocauste débarqué aux Etats-Unis en 1949 avec seulement deux dollars en poche, ce constructeur et promoteur trimballe son fiston sur les chantiers dès l'âge de dix ans et lui confie de petits rôles, de la surveillance d'un site de construction aux rendez-vous d'affaires.
Entre 1980 et 1990, les familles Trump et Kushner papillonnent donc en parallèle dans le monde des affaires de la Big Apple, dans les mêmes cercles philanthropiques, soirées et autres galas de charité. Au point de nouer à l'occasion des contacts informels. Rien toutefois de suffisamment étroit pour faire les gros titres des magazines et des journaux mondains.
Pendant que Donald Trump fait prospérer l'empire paternel, la saga Kushner, elle, n'a rien à envier à un épisode de la série Succession. En 1985, à l'âge de 31 ans, le jeune Charles, fraîchement diplômé de droit, récupère le portefeuille paternel de 4000 appartements dans le New Jersey et fonde la Kushner Companies.
Un succès éclatant. Quinze ans plus tard, la firme peut se targuer de posséder plus de 10 000 appartements, une société de construction de maisons, des propriétés commerciales et industrielles, 800 employés ainsi qu'une banque communautaire. Un empire d'un milliard de dollars bientôt au cœur d'une bataille entre Charles, son frère cadet Murray et sa sœur, Esther. La rivalité se mue au fil des années et des coups bas en une véritable guerre fratricide et aboutit à une rupture professionnelle, en 2000, puis à un procès, en 2002.
Ce n'est que le début des mésaventures judiciaires de «Charlie». En 2004, Charles Kushner, désormais magnat de l'immobilier établi et réputé pour son influence dans les cercles démocrates, ses contributions philanthropiques et son réseau dans la communauté juive, se retrouve bientôt empêtré dans l'un des scandales politiques et économiques les plus médiatisés du début des années 2000. Un scandale qui portera son nom. «L'affaire Charles Kushner».
Après une enquête menée par le procureur du New Jersey, Chris Christie, il est inculpé pour un joyeux mélange de chefs d'accusation qui mixe évasion fiscale, dons excessifs à des campagnes politiques en utilisant des prête-noms, violation des lois sur le financement des campagnes électorales et manipulation de témoins - sans doute l'aspect le plus spectaculaire de l'affaire.
Pour tenter de se dépatouiller, Charles Kushner tente de piéger le mari de sa soeur Esther, William Schulder, qui coopère à l'époque avec les autorités dans l'enquête contre lui. Histoire de pouvoir faire pression sur ce témoin gênant et de le réduire au silence, il organise un rendez-vous entre son beau-frère et une prostituée payée 10 000 dollars, avant de filmer leurs ébats et d'envoyer le résultat à sa propre sœur.
Une manœuvre parmi d'autres qui lui vaut, en 2005, d'être condamné à deux ans de prison fédérale. Charles Kushner purgera 14 mois dans un pénitencier fédéral d'Alabama, les dix mois restants en résidence surveillée.
Une expérience qui le marque forcément profondément. Pas seulement parce la nourriture ressemble à de la «bouffe pour chien» et le contraint à se nourrir presque exclusivement de «sardines et de beurre de cacahuètes». Ni parce qu'elle lui donne enfin le temps de «réfléchir» - et de lire le Wall Street Journal d'un bout à l'autre tous les matins.
Justement, c'est à son fils aîné, Jared Kushner qu'il incombe de prendre les rênes de l'entreprise paternelle et de redresser sa position dans l'univers des affaires impitoyables de New York. Le début d'une célébrité pour le jeune homme de 26 ans que l'achat d'un immeuble de 1,8 milliard de dollars sur la Cinquième avenue et qu'une liaison avec Ivanka Trump achèvent d'ancrer dans le bitume.
C'est par le biais d'amis communs dans le cadre d'une réunion d'affaires que la fille aînée du milliardaire new-yorkais Donald Trump et l'héritier de l'empire Kushner font connaissance, un jour de 2007. Officiellement, pour discuter de projets immobiliers. Officieusement, un «stratagème» mis en place par leurs amis pour les rapprocher - et, pourquoi pas, susciter des étincelles.
L'alchimie opère immédiatement, mais la discrétion est de rigueur. Juif orthodoxe, Jared Kushner craint que les différences culturelles et religieuses avec sa petite amie ne passent mal aux yeux de sa famille - en particulier de son influent paternel. Il avait vu juste.
Charles Kushner voit d'un très mauvais œil la relation de son fils aîné avec une héritière élevée dans une famille chrétienne presbytérienne. Sous pression, le couple se sépare brièvement en 2008. Ce qui n'est pas pour décourager Ivanka Trump, qui se convertit au judaïsme pour venir à bout des résistances de la belle-famille.
Bien lui en a pris. Le 25 octobre 2009, au Trump National Golf Club, Jared et Ivanka se disent «oui» et actent une alliance stratégique entre les deux dynasties immobilières. Le coup d'envoi d'une campagne de pouvoir commune, de New York à la Maison-Blanche.
La mainmise se manifestera quelques jours à peine après l'élection présidentielle de 2016. Lorsqu'un certain Chris Christie, nommé à la tête de l’équipe de transition de Donald Trump, se voit brusquement évincé du jour au lendemain. Il se murmure que Jared Kushner ne serait pas étranger à cette décision.
Tout comme à la décision du 45e président américain de gracier «Charlie», le 23 décembre 2020. La preuve que pour les Kushner, comme pour les Trump, tout est affaire de pouvoir, d'argent... et, surtout, de famille.