Prononcez ces trois lettres devant Jocelyn Rochat et elles font office de mot magique. J. F. K. Il n'en faut pas plus pour que le journaliste économique, spécialiste notamment des Etats-Unis et des théories du complot, s'anime au bout du fil. Lui qui se passionne depuis près de quarante ans pour ce dossier fait partie des nombreux experts persuadés que le tireur, Lee Harvey Oswald, n'a pas pu faire le coup tout seul. Il nous a formulé ses hypothèses.
Donald Trump vient de donner 15 jours au directeur du renseignement national et au procureur général des Etats-Unis pour élaborer un plan de déclassification des derniers dossiers confidentiels sur l'assassinat du président Kennedy, en 1963. J’imagine que cette nouvelle a dû vous réjouir?
Bien sûr, tous les gens qui s’intéressent de près à ce dossier nourrissent d’énormes attentes. Toutefois, comme à chaque fois avec ce genre d'annonce, on risque d'être déçu. C'était déjà le cas lorsque Donald Trump a déclassifié des documents il y a huit ans.
Plantez-moi le contexte.
C’était passionnant! En 2017, Trump venait tout juste d’être élu à la surprise générale, dans un climat de tension encore pire que celui d'aujourd'hui. Des espions français ont raconté à la télévision, notamment sur C dans l'air, qu'il y avait un énorme risque qu'il ne soit abattu avant son entrée en fonction, d'autant qu'il entretenait de très mauvaises relations avec les services secrets. C'est dans ce contexte qu'il a annoncé l'ouverture des archives Kennedy. Un moyen de pression. Les gens comme moi ont alors sauté de joie.
Quelques semaines plus tard, Trump a procédé à une déclassification partielle, en ouvrant quelques centaines ou milliers de pages sur les 30 000 restantes. Mais rien de décisif là-dedans. Cette déclassification s'est révélée un peu décevante.
Qu’attendez-vous des nouveaux documents sur le point d'être publiés?
Beaucoup, mais je crains qu’à l’arrivée, on n'apprenne pas grand-chose. Ouvrir un document est une chose. Pouvoir le lire en est une autre. Dans certains cas, les archives déclassifiées sont tellement caviardées qu'on ne peut décrypter que quatre ou cinq mots. Tout le reste est en noir. Ce qui nous laisse avec une vraie question: reste-t-il encore une archive qui nous explique ce qui s’est réellement passé en 1963? Que le tireur Lee Harvey Oswald n'était pas tout seul, contrairement à ce qu'affirme la version officielle? Je crains qu'on ne trouve jamais la phrase ni le document qui nous livre la version finale. Si ce document existe, cela fait sans doute longtemps qu’il a été détruit.
Néanmoins, vous allez quand même éplucher ces nouveaux documents à la loupe...
Bien sûr. Le risque, c’est que ces nouveaux documents appuient les théories alternatives qui existent depuis 40 ans, selon lesquelles Lee Harvey Oswald n'a pas pu agir seul.
Si le tireur n'a pas agi seul, avec qui? Quelles sont les théories alternatives «crédibles»?
Il y a diverses théories et plusieurs sont assez convaincantes. Certaines disent que la mafia est derrière cet assassinat. D'autres qu'il s'agit des services secrets, c'est-à-dire la CIA et le FBI. D'autres, une combinaison des deux. Des théories évoquent aussi les Cubains de Floride, qui auraient voulu se venger de l’abandon de leur île. Il existe de nombreuses variations, mais toutes affirment qu'il y avait plus d’un seul tireur. J’ai parlé récemment avec l’espion français à la retraite Alain Juillet, qui m'a donné son avis:
Votre thèse préférée?
Ma piste préférée est celle de la mafia. C’est l’une des rares fois où l'organisation a revendiqué son geste, dans un livre, Notre Homme à la Maison-Blanche, écrit par deux mafioso, Sam et Chuck Giancana. Pour rappel, dans les années 50 et 60, la CIA faisait appel à la mafia pour se débarrasser de chefs d'Etat étrangers encombrants - l'exemple le plus flagrant est Fidel Castro, contre lequel les tentatives répétées n'ont jamais abouti. A la même époque, le père de John Fitzgerald Kennedy, un homme qui a fait fortune en vendant de l’alcool pendant la prohibition et qui s’est enrichi dans le milieu criminel, entretient alors des contacts privilégiés avec l'organisation. Selon le livre, lorsque son fils tente de se faire élire, le père va voir la mafia de Chicago et leur demande d'aider son fils. En échange, ils auront leur homme à la Maison-Blanche - d'où le titre du bouquin.
Sauf que ça ne se serait pas passé comme prévu...
En effet. Le problème, c’est qu’à peine élu, John Fitzgerlad Kennedy place son frère Robert à la justice, et au lieu de laisser la mafia tranquille, il leur colle la police et tout ce que l’Amérique a d’autorités aux trousses. L'organisation a eu l’impression qu’on le lui avait fait à l’envers, et elle est donc devenue agressive.
Ça se comprend.
Une fois Kennedy assassiné, on comprend surtout mieux l'embarras des services secrets. Ils n’ont pas très envie qu’on sache qu’ils collaboraient avec la mafia pour faire assassiner des gens à l’étranger. C'est tout aussi gênant pour les démocrates, qui n'avaient pas très envie qu'on découvre que l’icône Kennedy n'était pas aussi irréprochable que prévu ni de rappeler que sa fortune provenait du crime organisé.
On sait que la CIA a œuvré avec la mafia, que le FBI détenait de nombreuses informations, puisqu'il écoutait de tous les côtés et que JFK n'était pas tout blanc. Malgré ces révélations, on s'accroche à une version officielle qui veut qu’un type a tiré trois balles en moins de six secondes depuis le sixième étage avec une précision qui étonne tous les professionnels.
Ces nouveaux documents, bientôt publiés, vont-ils couper la chique aux théoriciens du complot ou au contraire, alimenter leurs thèses?
Je tiens à préciser que quand on parle de «théories du complot», l’affaire Kennedy est un très mauvais exemple. Ce n’est pas une théorie farfelue du genre «La terre est plate», «Les martiens ont construit les pyramides» ou encore «L'atterrissage sur la lune aurait été tourné à Hollywood». Ça, ce sont de vrais complotismes. Dans le cas Kennedy, ce n’est pas de la fantasmagorie.
Plus de la moitié des Américains croient à une théorie alternative. De nombreux historiens, romanciers et réalisateurs célèbres, des gens très sérieux, ont travaillé sur la piste du scénario alternatif. Ce ne sont pas des cinglés dans leur coin qui ont réécrit l’Histoire!
Ça vous agace d'être traité de «complotiste»?
Au début des années 2000, quand c’était Fox Mudler qui faisait les X-Files, les théories du complot étaient considérées comme «cool». Désormais, on a l’impression de vivre une véritable chasse au complotiste. Le problème, c'est qu'on a tendance à placer toutes les théories alternatives dans un gros tas où tout se vaut. Avoir un doute sur une version officielle ne fait pas forcément de vous complotiste. Vous pouvez être un journaliste d’investigation qui fait son travail. Ce devrait pourtant être un réflexe normal dans ce métier: vous allez à une conférence de presse, on vous raconte une histoire, et vous vous dites: «Tiens, ça ne colle pas».
Heureusement, d’ailleurs!
Parfois, l'Histoire a donné raison aux amateurs de théorie du complot. Il y a eu de véritables conspirations et des coups tordus. Le Watergate, par exemple: il y a bien un président qui a envoyé des agents placer des micros dans le parti d’opposition. Jules César a bien été assassiné lors d'un coup d’Etat. Personne ne vous traite de complotiste quand vous affirmez que des sénateurs ont comploté contre lui. Dans l'affaire Kennedy, quelqu'un a bel et bien voulu le supprimer. Ça fait plus de quarante ans qu’on nous dit qu’un type placé au sixième étage a tiré trois balles. Il y a de vrais invraisemblances dans cette version officielle.
Douter de l'affaire JFK, ça fait partie de l’ADN national, comme le second amendement ou le cheeseburger?
Je ne sais pas si l’ADN américain est complotiste. Des théories alternatives qui diffèrent de la version officielle, vous en avez partout et dans tous les pays.
Qu'est-ce qui vous fascine toujours dans cette histoire, plus de quarante ans après été piqué?
C'est un épisode historique fascinant. Un président des Etats-Unis assassiné, ce n’était pas arrivé depuis des décennies! C’est hallucinant. L’assassinat de JFK, c’est le fait-divers du siècle. Et on vient de vivre son quasi remake, soixante après.
Avec la tentative d'assassinat de Donald Trump en juillet dernier, en Pennsylvanie...
En l’occurrence, il y a de vraies similitudes dans les deux affaires. On ne sait toujours pas qui était ce type sur le toit. Il y a eu un tissu d’erreurs qui fait bondir les professionnels du renseignement.
Le tireur sur le toit, alors qu'il n'y a normalement personne à 300 mètres à la ronde; la taille des agents du Secret Service autour de Trump, qui faisaient tous 30 centimètres de moins que lui; l’absence de vitre anti-balles… La différence avec l'affaire Kennedy, c'est que le tireur, Lee Harvey Oswald, s’en est sorti vivant. Il a été descendu quelques heures plus tard dans un commissariat par Jack Ruby pour qu’il ne parle pas. Quand on vous raconte ça, vos sourcils se croisent! Rien n’est réaliste là-dedans.
Espérons que, dans le cas de Trump, toute la lumière soit faite un jour.
J’imagine que maintenant que Donald Trump est élu, il y aura une enquête et qu’on finira par apprendre si le tireur a vraiment agi tout seul ou pas. Je ne suis pas sûr que Donald Trump se compare à JFK, mais il peut se dire qu’on lui a fait un coup similaire. A ce moment-là, son intérêt pourrait être de pointer d’éventuelles responsabilités... Mais si on spécule là-dessus, on bascule dans le complotisme! (Rires)