On aurait pu croire que reconquérir la Maison-Blanche aurait apaisé le courroux et l'ego blessé de Donald Trump vis-à-vis de son rival démocrate, Joe Biden, qui l'avait battu à la régulière en 2020. Il n'en est rien. L'actuel président semble déterminé à ternir le bilan de son prédécesseur.
Pour ça, il veut frapper là où ça fait mal: en plein dans les grâces présidentielles, dont Joe Biden a été un dispensateur prolifique au cours de ses derniers jours au pouvoir. Le 46ᵉ président a même établi un record de clémence présidentielle en commuant près de 2500 peines, dont celles de plus de 2000 personnes reconnues coupables d'infractions non violentes liées à la drogue.
Plus important encore, il a tenu expressément à gracier son propre fils, Hunter Biden. Sans oublier les membres du comité spécial chargé d'enquêter sur l'assaut du Capitole du 6-Janvier, ainsi que d'autres figures politiques ayant tenu tête à Donal Trump ces quatre dernières années. Parmi eux: la républicaine Liz Cheney, son collègue de parti Adam Kinzinger, le Dr Anthony Fauci ou encore le général à la retraite Mark Milley.
Toutes et tous devenus, par la force des choses, ennemis publics numéro 1 de l'actuel président. Lequel est aujourd'hui persuadé, comme il l'a clamé sur son réseau Truth Social lundi, que les grâces signées par Joe Biden étaient «NULLES», «VACANTES», «SANS FORCE NI EFFET». Tout ça parce qu'elles auraient été accordées... par un autopen.
Si vous êtes un citoyen normal et que vous n'avez pas pour habitude de signer des autographes, petite explication: l'autopen, comme le rappelle le Washington Post, est une «technologie relativement banale», qui consiste en une petite machine utilisant de l'encre réelle pour reproduire une signature humaine. L'autopen peut être utilisé avec n'importe quel style de stylo, y compris le feutre préféré de George W. Bush.
Particulièrement pratique quand les documents sont très nombreux ou que la tâche s'avère logistiquement compliquée.
Ces derniers jours, Donald Trump, grand adepte des séances de signature pleines de dramaturgie, n'a pas seulement suggéré que Joe Biden usait et abusait de cet outil. Pire. Sur fond de débat sans fin sur la santé mentale et physique de son successeur, il a allégué que les assistants en faisaient parfois usage à son insu, usurpant ainsi illégalement les pouvoirs exécutifs de la présidence. Naturellement, sans avancer la moindre preuve.
Au contraire, glisse le Washington Post, il semblerait que les équipes de Joe Biden se soient plutôt démenées pour faire en sorte que l'ancien chef d'Etat puisse signer les documents importants directement de sa main.
En janvier 2023, par exemple, un collaborateur de la Maison-Blanche a transporté un projet de loi de dépenses de 1653 pages dans trois bagages à main jusqu'à St. Croix, où Joe Biden était en vacances, afin qu'il puisse le signer. Et en 2022, un collaborateur avait volé jusqu'en Corée du Sud pour que l'ex-président puisse apposer son paraphe sur un projet de loi autorisant une aide de 40 milliards de dollars à l'Ukraine.
Cette rumeur de l'autopen utilisée à outrance par Joe Biden, c'est à l'Heritage Foundation qu'on la doit. Le 6 mars, ce très influent groupe de réflexion conservateur, basé à Washington, a affirmé sur les réseaux sociaux avoir examiné un large éventail de documents portant la signature du démocrate. Des signatures soi-disant toutes identiques, comme si elles avaient été apposées à l'aide d'un stylo automatique.
🚨WHOEVER CONTROLLED THE AUTOPEN CONTROLLED THE PRESIDENCY🚨
— Oversight Project (@OversightPR) March 6, 2025
We gathered every document we could find with Biden's signature over the course of his presidency.
All used the same autopen signature except for the the announcement that the former President was dropping out of the… https://t.co/CC3oJUkNr4 pic.twitter.com/mtNrZsALDu
L'organisation, qui s'est spécifiquement concentrée sur les grâces susceptibles d'être contestées en justice, a notamment remis en question la validité d'une série d'amnisties datant du 30 décembre 2022, alors que Joe Biden était en vacances aux Iles Vierges américaines, et qui comportaient une signature apposée... à Washington.
A noter qu'une grande partie de leur analyse initiale s'est appuyée sur les documents du Registre fédéral, qui publie le texte des actions exécutives avec une signature numérique au lieu de l'original.
Précisons encore que les présidents américains ont presque toujours eu recours à des appareils pour faciliter la signature. Thomas Jefferson, par exemple, possédait plusieurs polygraphes – une invention qui permettait à plusieurs stylos de réaliser des copies simultanées pendant que l'auteur écrivait. Pour ce qui est de l'autopen, George W. Bush a été le premier à être vertement critiqué pour son utilisation excessive - il s'était alors défendu en invoquant les énormes volumes de correspondance exigés d'un président.
Barack Obama en a également fait usage à plusieurs reprises, notamment lors d'un séjour en France en 2011 durant lequel il a autorisé une prolongation du Patriot Act. Il l'a de nouveau utilisé en Indonésie pour signer un projet de loi de finances visant à maintenir le financement du gouvernement, ainsi qu'une autre fois lorsqu'il se trouvait à Hawaï, pour valider une loi fiscale à distance.
Quid de Donald Trump? L'actuel président a spécifié aux journalistes cette semaine qu'il n'avait utilisé un autopen qu'«uniquement pour des documents très peu importants». «On pourrait l'utiliser, par exemple, pour envoyer une lettre à un jeune, parce que c'est gentil», a-t-il glissé aux journalistes dimanche soir à bord d'Air Force One.
Le ministère de la Justice n'a pas encore commenté le cas ni confirmé si les grâces accordées par Joe Biden étaient bel et bien «nulles». Reste que les accusations de son successeur menacent de déclencher une âpre bataille juridique - probablement perdue d'avance pour le président à la retraite.
En effet, comme le précise à juste titre le Telegraph, avec des alliés loyaux à la tête du ministère de la Justice, du FBI et des agences de renseignement, Donald Trump dispose d'une marge de manœuvre sans précédent pour faire appliquer ses moindres désirs par le biais du pouvoir judiciaire. Y compris faire tourner la retraite d'un homme de 82 ans... au cauchemar.