Il y avait l’éternel Bernie Sanders, 83 ans. La charismatique députée de New York Alexandria Ocasio-Cortez, aussi. Voilà. Depuis la victoire de Donald Trump en novembre dernier, la résistance démocrate est quasi inexistante aux Etats-Unis.
Encore groggy par la défaite cuisante de Kamala Harris, le parti fouille péniblement son ADN pour se chercher un avenir, alors que le président met le pays et le monde à sac. Face aux grosses semelles MAGA, un tout frais porte-voix du Congrès compte bien montrer les crocs. Depuis quelque temps, une certaine Jasmine Crockett, 43 ans, ouvre sa gueule et ne s’embarrasse pas d’une quelconque bienséance.
Joe Gallina: If you could tell Donald Trump anything tonight, what would you tell him?
— CALL TO ACTIVISM (@CalltoActivism) March 5, 2025
Rep. Jasmine Crockett: Grow a spine and stop being Putin’s hoe. pic.twitter.com/VZu47C4ZAk
Le regard vif, la verve au bord des lèvres, jamais elle n’évite la confrontation ou les micros qui se tendent avec délectation sous son nez. De quoi corser les interviews et animer la Chambre des représentants, comme lorsqu’elle a qualifié l’extrémiste de droite Marjorie Taylor-Greene de «fausse blonde dans un corps d'homme mal bâti», en réponse à une insulte concernant ses cils.
Ce franc-parler lui a offert une renommée express, alors que la Texane n’est députée que depuis deux ans. Les républicains se doivent évidemment de gonfler leur muscle labial face à cet ouragan démocrate, mais ses manières se retrouvent au cœur d’un questionnement plus sérieux autour de l’identité des démocrates: la grossièreté est-elle une nouvelle arme pour reconquérir la base?
Car elle n’est pas la seule à laisser sa langue se balader en liberté depuis l’élection présidentielle de novembre dernier. Hélas, les autres semblent se dévergonder de force, feindre une coolitude urbaine qui ne leur ressemble pas, à l’image de Maxine Elizabeth Dexter, représentante de l’Oregon depuis à peine deux mois.
🚨DEM REP MAXINE DEXTER: WE HAVE TO FUCK TRUMP
— Mario Nawfal (@MarioNawfal) February 11, 2025
"I don't swear in public very well, but we have to fuck Trump! Please, please don't tell my children that I just did that."
Dem crowd cheers…pic.twitter.com/QvrLVqaTfQ
«La clé, c'est de ne pas en faire trop et de ne pas forcer», disait Caitlin Legacki, une vétérane de la campagne démocrate, à Politico. Pour l’instant, Jasmine Crockett jure encore dans les clous et connait ses limites. Avocate de profession et spécialiste des droits civiques, cette enfant du Midwest maîtrise la loi comme sa poche et embrasse la colère des plus faibles depuis ses débuts dans les prétoires. Ses ras-le-bol sortent du bide, comme des jets de bile qu’elle refuse de garder pour elle.
Lors du discours de Donald Trump sur l’état de l’Union, la semaine dernière, Jasmine Crockett s’est levée et s’est cassée. Mais l’explication vient toujours accompagner l’incartade: «Il est là-haut, il débite toutes sortes d'absurdités. On n'allait pas rester là», qu’elle avait balancé dans une vidéo postée sur Facebook dans la foulée. Si certains l’accusent de copier bêtement celui qu’elle considère pourtant comme un «homme infâme, faible et déplorable», son larcin n’est pas gratuit.
Dans une longue interview à Vanity Fair, en décembre dernier, la députée argumente sa volonté affichée d’emprunter certaines armes au président MAGA. D’autant que ça concerne plus volontiers son parti que sa petite personne.
Selon elle, si Trump a gagné en novembre, c’est notamment grâce à sa «très grande cohérence». Il entretient une image, une personnalité forte et, surtout, définissable: «Je parle souvent du manque de stratégie de marque des démocrates, ce qui nous a valu une image emplie de faiblesse».
Pour que l’on cerne mieux son analyse, elle prend appui sur sa propre carrière politique. Si elle veille à ce que sa circonscription soit informée des politiques qu’elle défend et des projets de loi qui ont été promulgués, ça ne suffira jamais: «Je gagne aussi parce que les gens m'apprécient et apprécient mon image, à savoir que je suis une agitatrice».
Et quand le journaliste Eric Lutz lui demande quelle est aujourd'hui «l’image de marque» du parti démocrate, elle répond: «Je ne sais pas». Vous l’aurez compris, cet argumentaire plane sur l’un des plus grands défauts de la campagne de Kamala Harris, à qui l'on a surtout reproché l’absence d’une identité politique claire.
Mais, attention, Jasmine Crockett ne se place pas en accusatrice d’une campagne démocrate manquée. Non seulement elle en fut la directrice adjointe, mais elle n’est pas dénuée de stratégie: «Je vous assure que ce qui fonctionne, c'est que les gens croient que vous vous battez pour eux, même s'ils ne sont pas d'accord».
Aujourd’hui figure montante de l’opposition, elle reste persuadée que les électeurs doivent avant tout «ressentir l’indignation qui nous habite, nous, politiciens». Le langage fleuri et les invectives semblent faire partie du processus, comme une bonne dose d’ayahuasca, même si certains ténors du parti, anonymement, ronchonnent en rappelant que «ça passe par des manœuvres législatives, pas par des insultes occasionnelles dans un podcast», lit-on dans Politico.
Jasmine Crockett, elle, jure qu’elle se soigne.