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Droits de douane: «L’Amérique de Trump me fait peur»

Droits de douane: «L’Amérique de Trump me fait peur»
Donald Trump à la Maison-Blanche, 9 avril 2025. Médaillon: Dominique Moïsi.image: keystone

«Le camp républicain semble se fissurer»

Ancien professeur à Harvard, le spécialiste de géopolitique Dominique Moïsi affirme que les Etats-Unis sont en pleine dérive «irrationnelle». Il se dit «fondamentalement inquiet» pour la suite.
10.04.2025, 18:5510.04.2025, 21:56
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Assiste-t-on à l’effondrement de la démocratie américaine?
Dominique Moïsi: Le mot «effondrement» est un peu trop dramatique. Il y a une crise particulièrement grave que traversent les Etats-Unis. Ce qui est remis en cause, c’est, bien entendu, le fonctionnement de la démocratie américaine, mais, au-delà, le statut international de l’Amérique. Elle était hier perçue globalement comme une assurance-vie pour ses alliés, un acteur responsable, dont les actions n’étaient certes pas toujours réussies ou positives.

«Mais, quand même, globalement, l’Amérique était un acteur rationnel. Cela n’est plus le cas aujourd’hui»

En Europe, on pensait que les Américains étaient dans leur majorité attachés par-dessus tout à l’équilibre des pouvoirs. Or il est apparu qu’une majorité d'entre eux a considéré avec l’élection de Donald Trump qu’il y avait autre chose de plus important à sauver que cette vision idéalisée de la démocratie. Qu’est-ce que cette majorité a voulu signifier?
Ella a voulu signifier qu’elle voulait un changement profond dans la direction et dans l’organisation du pays et qu’elle faisait confiance à un homme fort pour opérer cette transformation. Elle a refusé ce qui lui apparaissait comme la poursuite du statu quo.

Quel statu quo?
Un statu quo lié au sentiment de ne plus être en contrôle de sa vie. Parce que le pouvoir d’achat baisse, parce que le nombre de migrants illégaux augmente et, accessoirement ou non, parce que le wokisme menace les valeurs traditionnelles de l’Amérique

On a vu se propager ces dernières années, beaucoup sur les réseaux sociaux, l’idée selon laquelle le peuple était dépossédé de son pouvoir au profit de l’«Etat profond», que ce soit l’«élite pédocriminelle», les juges, le haut commandement militaire ou tout cela à la fois. Pour ceux qui l’ont élu, Trump incarne le retour du peuple au pouvoir, c'est bien cela?
Il y a un réflexe anti-élites très fort chez les électeurs de Donald Trump. Ils se reconnaissent dans son langage délibérément provocateur, sinon vulgaire.

«Il ne donne pas l’impression d’appartenir à une classe supérieure, hautement éduquée, sûre d’elle-même et dominatrice. Ce qui est paradoxal pour un héritier. Il est lui-même le fils d’un milliardaire»

Jusqu’à présent, tel un magicien, il réussit à transformer son essence, ce qu'il est réellement, aux yeux d’une majorité de ses électeurs.

Nous avons des Etats-Unis la vision d’un Etat de droit. Or voilà que la Maison-Blanche donne dans la violence, même si cette violence a quelque chose d’assez théâtral pour l’instant. On avait oublié que les Etats-Unis sont violents?
La tradition de violence est très forte dans la culture américaine. Le continent sur lequel les futurs Américains se sont installés à partir du 17ᵉ siècle n’était pas inhabité. Il y avait déjà une population qui a été très largement massacrée par l’«occupant» blanc européen, britannique, hollandais, devenu américain à la fin du 18ᵉ siècle.

Quel est le bouc émissaire aux yeux de l’électorat Trump?

«Il y une revanche blanche, si j’ose dire, contre la montée des autres»

Qu’il s’agisse des Noirs, qui ont «occupé» la Maison-Blanche pendant les deux mandats de Barack Obama, qu’il s’agisse des hispaniques, toujours plus nombreux, des Asiatiques, qui réussissent toujours mieux au sein de la société américaine. Un monde «petit blanc» s’est senti déclassé financièrement, lors de la crise économique de 2007-2009, dite des subprimes, socialement aussi, en n'ayant plus le sentiment d’appartenir à la classe ouvrière, avec tout ce que cela pouvait avoir de noble.

Les décisions de Donald Trump, puis sa volte-face sur les droits de douane, changeront-elles quelque chose dans la perception du héros par la base électorale?
Il faudra voir ce que vont penser dans quelques semaines, dans quelques mois, tous les électeurs de Donald Trump, qu’ils soient agriculteurs ou travailleurs urbains, des conséquences de sa politique pour eux-mêmes.

«Est-ce que Donald Trump lui-même, par ses excès, ses erreurs, ses absurdités, ne peut pas être le principal sauveur d’une démocratie dont il était le principal agresseur?»

Diriez-vous que la contestation anti-Trump prend forme aux Etats-Unis?
Oui, le camp républicain semble se fissurer. Il y a pour la première fois des manifestations significatives, qui ont été organisées par les démocrates et qui ont réuni des dizaines de milliers de personnes. Ces manifestations avaient été convoquées avant que ne commence la crise des droits de douane.

Pour autant, peut-on dire que les démocrates gagneront les élections de mi-mandat en novembre 2026?
C’est un peu tôt pour faire des pronostics. On ne connaît pas l’évolution de l’économie et de la politique américaine. Les démocrates vont-ils réussir à se ressaisir, à dépasser l’état de sidération qui est presque encore le leur?

Le véritable danger pour la démocratie américaine serait que Donald Trump ignore les élections de mi-mandat, s’assoie dessus.
Oui, la véritable atteinte à la démocratie serait là, mais, justement, l’Amérique n’en est pas à ce stade, c’est pourquoi il est prématuré de parler d’effondrement de la démocratie américaine.

Donald Trump pour l’heure faits des dégâts…
Je crois qu’il fait des dégâts immenses dans l’économie mondiale – d’où la «pause de 90 jours» dans l’application de nouveaux droits de douane – et dans la géopolitique mondiale. Ses décisions paraissent totalement irrationnelles.

«Il n’y a pas de précédents dans l’Histoire d’un homme aussi puissant qui fait s’effondrer les marchés dans un espace de temps aussi court»

Trump avait promis la paix très vite en Ukraine et au Moyen-Orient, et il avait promis aux Américains de s’enrichir très vite. Pour le moment, il y a toujours la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, l’économie américaine en a pris un coup après l’annonce de ses droits de douanes, aujourd’hui mis en attente, sauf vis-à-vis de la Chine.

En Europe, on considère la justice américaine comme le garant absolu de la démocratie américaine. Or on voit Trump lui livrer un combat. S’est-on mépris sur la force de la justice américaine?
Cela fait longtemps déjà que Trump, qui a été particulièrement visé par les juges, semble vouloir régler ses comptes avec cette justice qu’il perçoit comme partisane. Il y a même cette frustration chez lui, qui s’aperçoit qu’il est moins simple que cela de contrôler la Cour suprême. Il y a des juges nommés par lui qui ne votent pas comme il l’aurait souhaité.

Cela dit, la Cour suprême n’a pas d’armée. Il pourrait ignorer les décisions de la Cour suprême.
Il pourrait, mais, en même temps, il souhaite que la Cour suprême valide les chemins très certainement illégitimes qu’il entend parcourir.

Etes-vous inquiet pour le proche avenir des Etats-Unis?
Oui, fondamentalement.

Pourquoi?
Parce que je ne reconnais plus l’Amérique qui était le pays que j’ai connu comme étudiant à Harvard au début des années 70, puis comme professeur à Harvard à la fin des années 2000.

«Je dois aller aux Etats-Unis dans quelques semaines et j’ai plutôt un sentiment d’appréhension plus proche de celui que j’avais lorsque je me rendais en URSS au temps de la guerre froide que celui qui était le mien lorsque j’allais aux Etats-Unis précédemment. Soudain, l’Amérique me fait peur»
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