Les prix des marchandises chinoises sont incroyablement bas. Des plateformes en ligne comme Temu, Shein ou Alibaba proposent des baskets à 5,93 francs, des robes à 6,99, des pantoufles à 7,51 et des manteaux d'automne à 21 francs. Des prix délirants pour ce genre de produits de consommation. Les panneaux solaires ou les voitures électriques chinoises sont également très bon marché. Mais pourquoi ces prix sont-ils si bas?
C'est une conséquence de l'économie planifiée communiste en Chine. C'est ce qui ressort d'une analyse que la chercheuse Zongyuan Zoe Liu, du think tank américain «Council on Foreign Relations», a rédigée pour le magazine Foreign Affairs. Liu y explique pourquoi le système chinois est sur le point d'échouer, mais ne sera pas remplacé. Elle dévoile également ses effets secondaires monumentaux.
Pékin place l'industrie au-dessus de tout le reste. Le chef du gouvernement Xi Jinping veut produire, produire et produire. En revanche, il s'intéresse moins à savoir si les marchandises qui sortent ensuite des usines seront consommées. Pour Pékin, la consommation est un gaspillage de ressources, une «distraction individualiste».
Le gouvernement prend de l'argent aux ménages pour le donner à l'industrie - afin que celle-ci puisse construire encore plus d'usines. Pékin procède à cette redistribution en poussant artificiellement les salaires vers le bas. Cela abaisse les intérêts que les Chinois reçoivent de leurs banques, créant ainsi de l'argent bon marché qui peut être injecté dans les industries privilégiées. Au final, ce sont encore plus de marchandises qui sortent des chaînes de montage.
Et si consommation il y a, celle-ci doit, selon la volonté de Pékin, servir l'industrie. C'est ce que le gouvernement a déclaré dans un paragraphe de son plan quinquennal, au milieu d'objectifs détaillés sur les brevets ou la croissance économique. La consommation doit donc être orientée vers les biens qui correspondent aux objectifs industriels, par exemple les voitures, l'électronique ou les appareils intelligents.
Selon Liu, cela va si loin que l'ensemble du commerce de détail chinois est «principalement influencé par les objectifs industriels de l'Etat - et non par les préférences individuelles des gens». Cela vaut également pour les plateformes en ligne de Shein, Alibaba et Pinduoduo, dont Temu fait partie. Il n'y a là que l'illusion d'un grand choix. En réalité, ces distributeurs se livreraient une concurrence acharnée pour vendre les mêmes produits standard interchangeables.
Tout ce contrôle et cette gestion ont une conséquence claire, que le Wall Street Journal décrit ainsi: «La Chine produit trop de choses ». Trop pour elle-même, parfois même trop pour le monde entier.
Le pays possède trop de verre et trop de charbon, trop de ciment et trop d'aluminium. Ses usines peuvent potentiellement produire autant de voitures électriques que le monde peut utiliser en un an, et deux fois plus de panneaux solaires.
Cela s'explique notamment par le fait que les ménages privés sont tenus à l'écart par Pékin - et n'ont donc pas l'argent nécessaire pour acheter tout ce qui sort des chaînes de montage chinoises. L'étranger devient donc inévitablement le lieu de décharge de la surproduction chinoise, le prix ne jouant alors qu'un rôle secondaire. L'essentiel est que l'on puisse encore obtenir de l'argent pour toutes ces marchandises.
Les Etats-Unis ont depuis longtemps compris cette logique tordue, à l'instar de Lael Brainard, conseillère économique en chef du gouvernement de Joe Biden. Dans un discours, elle a averti que la Chine poursuivait une politique qui «fait pression de manière injuste sur les coûts du capital, du travail et de l'énergie». Cela permettrait aux entreprises chinoises de vendre «au niveau des coûts voire en dessous». En d'autres termes, Pékin pousse les revenus privés vers le bas - c'est pourquoi elle peut inonder le monde de marchandises bon marché.
La surabondance en Chine est donc créée sur ordre d'en haut, de Pékin. Mais il y a une autre raison à cette inondation de marchandises: des incitations mal orientées au sein du système politique communiste.
Pékin exerce une énorme pression sur les dirigeants locaux des villes et des provinces, notamment par des plans industriels imposés d'en haut ou des campagnes comme celle de la «prospérité commune». Ceux qui atteignent les objectifs gravissent les échelons de leur carrière, tandis que ceux qui échouent stagnent ou sont rétrogradés. Les dirigeants se conforment donc, orientant activement les économies et les subventions vers les industries privilégiées – peu importe s'il y a des acheteurs pour ces produits, peu importe si d'autres régions font la même chose.
C'est ainsi que commencent de spectaculaires compétitions entre les provinces chinoises, de l'ouest à l'est, du nord au sud. Toutes – ou presque – veulent construire encore plus d’usines, et ce, encore plus vite, dans les mêmes industries privilégiées par Pékin.
C'est ce qui s'est passé pour le photovoltaïque. Pékin en a fait une priorité en 2010: 31 provinces sur 34 ont suivi, la moitié des villes ont investi et il y a bientôt eu une surabondance de panneaux solaires. Le déchargement à l'étranger a commencé. En 2013, les Etats-Unis se sont défendus, ont imposé des droits de douane et cela a aidé, mais seulement temporairement.
En 2023, ils se sont aperçus que les fabricants chinois accédaient à leur marché sans payer de droits de douane, en faisant un détour par la Thaïlande ou le Vietnam. Actuellement, la Chine peut produire deux fois plus de panneaux que ce dont le monde a besoin. Pourtant, d’ici à 2025, elle aura encore augmenté sa capacité de 50%.
En Occident, les réactions se font de plus en plus nombreuses. La Commission européenne examine par exemple si le commerçant en ligne Temu en fait assez contre les marchandises qui contreviennent aux règles européennes. Le nouveau président américain Donald Trump a menacé d'imposer des droits de douane de 60% sur les marchandises chinoises.
Mais Pékin n'abandonnera pas son système de sitôt, notamment parce qu'il rend les entreprises privées dociles. Nombre d'entre elles doivent vendre leurs marchandises à des prix si bas que leur situation financière est extrêmement précaire. Sans les crédits avantageux de Pékin, elles s'écroulent. Des crédits pouvant être coupés à tout moment.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich