C'est un rêve vieux comme l'humanité: maîtriser la pluie. Et un nouveau pays vient d'y céder, l'Ethiopie. «Nous allons officiellement lancer un programme pour augmenter les précipitations. Cette technologie permettra de rendre les territoires secs plus viables et productifs», a déclaré Abiy Ahmed, premier ministre éthiopien, fin mars. Pour y parvenir, le pays d'Afrique de l'Est mise sur la technique la plus répandue, l'ensemencement de nuages.
Si certains pays, notamment en Europe (Suisse inclue), utilisent ce procédé de manière défensive pour protéger les zones agricoles contre la grêle, d'autres se montrent beaucoup plus offensifs. Les Etats-Unis ou l'Australie, par exemple, s'en servent pour tenter d'augmenter les précipitations dans les zones touchées par la sécheresse.
Egalement lancés dans cette course à la pluie depuis 2010, les Emirats arabes unis ont annoncé mi-mars le développement d'une nouvelle technologie: des drones volant à travers les nuages pour leur donner des chocs électriques afin de déclencher des précipitations.
Mais l'acteur le plus en avance sur le sujet est sans conteste la Chine. En 2008, à la veille de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, le pays avait tiré 1104 fusées contenant de l'iodure d'argent pour déclencher des précipitations préventives et ainsi éviter que la pluie ne vienne gâcher la fête.
Devant faire face à une grave pénurie d'eau, l'Empire du Milieu a depuis investi massivement dans le domaine, près de 1,3 milliard de francs entre 2012 et 2017. Au total, plus de 35 000 personnes œuvrent désormais sur ce projet. L'objectif du pays est ambitieux, d'ici 2025, il souhaite que 5,5 millions de km² - soit plus de la moitié de son territoire - soient couverts par des dispositifs de pluie artificielle.
«Les technologies mises au point pour l'instant ne sont pas très concluantes, ce sont des quantités dérisoires d'eau qui tombent. De l'ordre du millimètre», observe Martine Rebetez. La climatologue helvétique reconnaît toutefois que ces expérimentations, surtout à l'échelle de la Chine, peuvent déjà suffire à perturber le climat des pays voisins.
«Ce sont des techniques d'apprentis sorciers. Pour un gain dérisoire là où on a décidé de faire pleuvoir, on risque d'empêcher la mousson dans le pays d'à côté», regrette la spécialiste. En clair, les expérimentations d'un état peuvent siphonner artificiellement l'eau qui aurait dû tomber de l'autre côté de la frontière. De manière générale, Martine Rebetez déplore la recherche de solutions individuelles et locales face à un problème global dont le remède est incontournable selon elle: réduire les gaz à effet de serre.
Sans compter que ces procédés pourraient avoir un impact considérable sur les tensions politiques. «Si la Chine se met à "voler" la pluie des pays voisins, cela pourrait déboucher sur un conflit armé», pointait, cette semaine dans Le Temps, Dhanasree Jayaram, experte en géopolitique environnementale à l’Université de Manipal en Inde.
Martine Rebetez abonde: «Si ces techniques de pluie artificielle venaient à avoir des conséquences, potentiellement cela pourrait déclencher des guerres de l'eau à l'image de celles qu'on a connues pour les eaux de surfaces comme les lacs ou les rivières.»
La professeure de climatologie souligne également la difficulté, avec ces méthodes, de quantifier la différence entre le résultat obtenu et ce qu'il serait passé sans intervention humaine. «On tombe dans de l'interprétation. Il sera donc facile pour un gouvernement de dire que c'est la faute du voisin.»