Le contexte mondial a rapidement basculé. Dès que l'administration Trump s'est mise en marche au début de l'année, de nombreuses entreprises ont relégué au second plan leurs déclarations publiques en faveur de la diversité. Même à l'extérieur du pays. Une posture surtout adoptée par celles qui sont bien en vue aux Etats-Unis, ou qui dépendent de contrats gouvernementaux.
Le sigle qui dérange? DEI, pour «Diversity, Equity and Inclusion». Ces dernières années, de nombreuses compagnies helvétiques ont inscrit ces trois valeurs en grand sur un drapeau arc-en-ciel. Le vent a désormais tourné un peu partout. Prenons l'exemple d'UBS: dans son rapport annuel 2023, le slogan apparaissait une douzaine de fois - un an après, on le retrouve tout juste une fois. Le géant pharmaceutique Roche a, lui aussi, récemment supprimé des objectifs globaux de diversité afin de se conformer aux nouvelles dispositions.
Il faut replacer ces revirements dans leur contexte juridique. Les programmes DEI sont considérés comme illégaux dans les agences fédérales américaines et auprès des prestataires de marchés publics. Certes, ce décret fait encore l'objet de plaintes, mais Washington intensifie la pression, même au-delà de ses frontières.
Ces derniers jours, les ambassades américaines en Europe ont écrit directement à de nombreuses sociétés pour leur demander de confirmer qu'elles respectaient l'interdiction des programmes de promotion de la diversité. Délai de réponse: cinq jours. En cas de refus, une justification détaillée est exigée, «que nous transmettrons à notre service juridique», apprend-on grâce au Figaro, qui s'est procuré la lettre de la représentation diplomatique américaine en France. Elle est signée par un certain Stanislas Parmentier, «fonctionnaire contractuel».
Un questionnaire à remplir et à renvoyer signé dans le délai imparti accompagne la missive. Plusieurs dizaines d'entreprises et de cabinets d'avocats français auraient été contactés. Cela a à son tour fait réagir le ministère français du Commerce extérieur, qui a déclaré:
Il n'y a pas que dans l'Hexagone que la requête américaine a provoqué des réactions courroucées. «Nous n'avons pas de leçons à recevoir du patron des Américains», a commenté le ministre belge des Finances, Jan Jambon. En Espagne, le ministère du Travail s'est plaint de «l'ingérence monstrueuse» et a averti que ceux qui ne respectaient pas les lois anti-discrimination strictes en Espagne devaient s'attendre à des enquêtes.
Le ministre danois de l'Industrie a pour sa part demandé une réponse coordonnée à l'échelle du continent. A Bruxelles, la Commission européenne a fait référence lundi à la législation en vigueur. Elle prévoit par exemple un minimum de 40% de femmes dans les conseils d'administration à partir de 2026.
Les milieux économiques suisses ont eu vent de ces lettres et, selon la NZZ, il semblerait que des entreprises les aient également reçues. Elles «informent sur les nouvelles dispositions légales et insistent sur leur respect». Les lettres doivent être signées par la direction, faute de quoi le gouvernement américain menace de «renoncer à des commandes», rapporte le journal.
Après avoir consulté de nombreuses associations économiques, des cabinets d'avocats et des groupes, nous n'avons toutefois pas pu confirmer la réception des fameux courriers. Rahul Sahgal, chef de la Chambre de commerce américano-suisse, affirme n'avoir «directement eu connaissance d'aucun élément à ce sujet». D'autres représentants assurent aussi en avoir entendu parler, mais pas de cas suisse concret jusqu'à présent.
Le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) se contente de dire que les entreprises du territoire doivent respecter le droit suisse. Le porte-parole du Seco, Fabian Maienfisch, affirme:
L'ambassade américaine à Berne n'a pas réagi à nos sollicitations.
En attendant, la nervosité monte d'un cran. «Nous sommes au courant et suivons la situation de très près», dit-on par exemple dans une firme industrielle. Les entités avec une forte présence aux Etats-Unis sont confrontées à un dilemme entre la nécessité de respecter les lois américaines et l'obligation sociale envers le personnel européen.
Dans la pratique, beaucoup d'entre elles devraient probablement adopter une double approche: une adaptation aux lois locales aux Etats-Unis, et le maintien des programmes de diversité en Europe.
Jusqu'à présent, Washington ne se serait ainsi pas immiscé dans les couloirs des entreprises helvétiques. Pas plus que chez les entreprises allemandes. Mais cela pourrait évoluer. La lettre ne laisse aucune place au doute:
Et l'ambassade américaine en Espagne a clairement indiqué que «toutes nos ambassades dans le monde» communiqueraient les nouvelles règles édictées par Donald Trump.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)