Et si Kevin McCarthy retrouvait son pupitre de speaker? Oui, celui qui a été violemment éjecté par l'aile droite du parti républicain, menée par Matt Gaetz. Au soir de son éviction, il avait pourtant juré, passablement dégoûté par l'aventure, ne pas vouloir se représenter à son propre poste. On pouvait d'ailleurs aisément le comprendre, après neuf mois d'un mandat gorgé de turbulences et de promesses intenables. Or, lundi, patatras, le voilà soudain disposé «à revenir».
Pourquoi un retournement de veste aussi spectaculaire? Disons qu'il est resté particulièrement attentif aux rumeurs au sein du Grand Old Party. Quelques heures seulement avant que les premières roquettes du Hamas ne s'écrasent en Israël, les smartphones des républicains les plus centristes crépitaient.
Une fois l'attaque terroriste confirmée, ce fut un océan de SMS qui s'est propagé au sein du Capitole. Il faut dire qu'en l'absence d'un patron, et malgré l'intérim assuré par Patrick McHenry, la Chambre des représentants se retrouve fortement paralysée. Et, hormis la douzaine de fauteurs de troubles de l'aile droite, personne dans l'hémicycle n'a intérêt à ce que l'élection du nouveau speaker tourne au fiasco, comme en décembre et janvier dernier.
Sur le papier, il suffirait de convaincre les huit républicains ayant approuvé l'éviction de McCarthy de changer d'avis et... de vote. Pour ceux qui tentent à tout prix de réintégrer le récent paria, le déchaînement de violences intimé par le Hamas ces derniers jours est une occasion rêvée.
En réalité, le défi est semé d'embûches. Car la course au siège suprême est déjà menée par deux pontes républicains de la Chambre, Steve Scalise et Jim Jordan. Respectivement âgés de 58 et 59 ans, les deux représentants ont suffisamment faim pour enterrer définitivement Kevin McCarthy et s'asseoir sur le siège tant décrié de speaker. Un binôme férocement conservateur, respecté au sein du GOP et trimballant des CV qui donnent le tournis. Mais quand Steve passe pour le papy de l'establishment à Washington, Jim est encore considéré comme un «lance-flamme politique».
Allez, on monte sur le ring? Choose your fighters!
Derrière son patronyme et sa carrure de personnage mafieux, Scalise en impose pour de vrai. Figure respectée du Grand Old Party et leader de la majorité à la Chambre, l'imposant politicien a réchappé de peu à la plus terrible fusillade impliquant le parti républicain. En juin 2017, dans le stade Simpson Field d'Alexandria, en Virginie, les huiles conservatrices tapaient gaiement dans la balle quand un certain James Hodgkinson a canardé l'équipe de son fusil d'assaut.
Au total, 70 balles seront tirées depuis les gradins, avant que le forcené ne soit abattu. Plus tard, les autorités comprendront que l'homme «se sentait terrorisé par l'élection» du président Donald Trump. Steve Calise, lui, passera très près de la mort. Touché à la hanche, la balle a ensuite traversé son bassin, provocant de multiples fractures et lésions internes. Il en réchappera plus motivé que jamais:
Au sein des républicains, Scalise n'est pourtant pas considéré comme le pire des provocateurs ou un extrémiste de droite. En revanche, c'est un emmerdeur de première. S'il fait aujourd'hui figure de favori pour remplacer Kevin McCarthy au sommet de la Chambre des représentants, c'est aussi parce qu'il avait tout entrepris, en janvier dernier, pour le faire trébucher. Plus conservateur que McCarthy, il aura malgré tout de la peine à séduire l'aile droite de son parti.
Même ses rares frasques passées n'y changeront rien. Pour ne citer que cet exemple, en 2002, Scalise avait prononcé un discours devant un groupe de suprémacistes blancs, fondé par un ancien «grand sorcier» du Ku Klux Klan, un certain David Duke.
Le parti et une bonne partie du pays s'étrangleront, au point de forcer le représentant à mâchouiller des excuses. «Il m'a dit qu'il était comme David Duke, mais sans les bagages», confessera la journaliste de Louisiane Stephanie Grace, citée par le Washington Post. Pour Grace, le bagage ne serait rien d'autre que «le passé racisme de Duke». A 58 ans, Steve Calise est donc à ce point respecté qu'il fait aujourd'hui partie de l'establishment, ce club de vieux schnocks tant décrié par la bande à Matt Gaetz et Marjorie Taylor Greene.
Malgré tout, les extrémistes du parti ne sont pas son principal problème. Même s'il assure que «tout va bien», Steve Scalise se bat depuis le printemps contre un myélome multiple.
«Avec l'aide de Dieu», il assure que son combat contre la maladie est «déjà gagné». Ce qui n'est pas tout à faire le cas de la bataille pour le siège de speaker. Son bagout et son talent à rassembler ses soldats républicains à la Chambre depuis de longues années seront définitivement ses points forts.
Pas plus qu'il ne porte de blazer, vous ne verrez jamais Jim Jordan s'embarrasser d'offrir des petits gâteaux et des cookies à ses jeunes collègues du Congrès pour les encourager - une pratique chère à Steve Scalise. Lui, c'est un dur à cuire, un vrai. Pour ce farouche républicain de 59 ans, la politique, c'est pas un truc de «poules mouillées», mais un «jeu réservé aux adultes». Après le ring de son université, c'est donc naturellement dans l'hémicycle du Congrès que l'ex-champion de lutte, l'un des meilleurs des Etats-Unis, est descendu pour détruire ses ennemis.
«Détruire». Le mot qui caractérise le mieux la stratégie de ce «lance-flammes» et «terroriste législatif». Depuis 2007, fidèle à sa réputation de contestataire tenace, Jim Jordan s'est fait une spécialité de bloquer à peu près tous les projets de loi possibles et imaginables de la Chambre, démocrates comme républicains.
Allez, soyons fair-play: ce n'est pas tout à fait vrai. La preuve, comme il trouvait son parti un peu flasque, Jim Jordan a rassemblé la crème de la crème des conservateurs les plus à droite du parti pour former, en 2015, le House Freedom Caucus, une coalition ouverte uniquement sur invitation. Sans oublier que, faute de projets de loi, il a lancé tout un tas d'enquêtes sur la famille Biden. Aujourd'hui, le républicain de l'Ohio se trouve à la tête de la tentative d'impeachment du président Joe Biden.
S'il déteste vraiment les «politiques progressistes d'extrême gauche, qui détruisent nos communautés, notre sécurité et notre avenir» (son speech de candidature), Jim Jordan est en revanche une pom-pom girl inconditionnelle de Donald Trump. Il a joué un rôle de premier plan dans ses manœuvres pour saper les résultats de l'élection de 2020. Si bien que, juste avant de quitter la Maison-Blanche, l'ancien président lui a décerné la «Médaille présidentielle de la liberté», la plus haute distinction civile du pays.
Et ce n'est pas son seul gage de gratitude: alors que Jim Jordan fait campagne pour briguer le poste de président de la Chambre, il a reçu la bénédiction de son mentor en personne. Pour Donald Trump, Jim Jordan est une «STAR» et sera bientôt un «GRAND Président». Reste à savoir si ce gage de soutien «complet et total» n'effraiera pas les derniers républicains modérés du Congrès. Quoi qu'il en soit, Jim Jordan n'a plus que quelques heures pour convaincre la majorité de ses collègues de l'intérêt d'élire un exterminateur sur pattes. C’est ça, ou un vieux schnock increvable de l’establishment.