Un après-midi de 2017, sur un terrain de golf de l'Ohio, un influent républicain fraîchement retraité formulait cette grande prédiction: «Patrick McHenry sera speaker un jour». Six ans plus tard, le 3 octobre 2023, alors que Kevin McCarthy se voyait brutalement destitué et que la démocratie américaine basculait, une fois de plus, dans l'inconnu, sa prophétie s'est réalisée. Enfin... presque. Patrick McHenry est bel et bien entré dans l'Histoire américaine. Mais pas en tant que président de la Chambre des représentants. Juste comme «président par intérim». Ce qui reste quand même une première.
Avant de se retrouver projeté à la tête de l'un des organes législatifs les plus importants du monde, Patrick McHenry, c'est d'abord ce mec à l'éternel nœud pap dont le téléphone vibre sans arrêt. Après 20 ans de politique et plus de 10 mandats à Washington, on ne présente plus cet élu hyperactif dont le nom évoque celui d'un héros américain.
Il faut dire que sa carrière a commencé tôt. Très tôt. Républicain jusqu'au bout des ongles, Patrick n'a même pas fini ses études qu'il brûle déjà de se lancer en politique. Après un passage comme assistant sur la campagne présidentielle de George W. Bush au début des années 2000 (où son principal projet consiste à gérer un site Web au nom sans équivoque, NotHillary.com), il devient le plus jeune membre du Congrès en 2004. Depuis, il n'est jamais parti.
Cheveux gris prématurés, voix aiguë, ton mesuré et las du monde, soupirs cyniques: à 29 ans, Patrick donne l'impression d'avoir déjà tout vu et passe sa vie à tenter d'en paraître 40. Mais sous ses airs de lassitude, le jeune congressman est un enragé. Un véritable «chien d'attaque du Parti républicain», comme le surnomment les médias, qui a faim de mordre dans les tibias démocrates.
Le législateur, qui aime lui-même se définir comme un «lanceur de bombes», ne manque jamais une occasion de faire le malin sur le plateau télévisé ou de saper un projet de loi de l'administration Bush. Les choses ont bien changé depuis.
Des années plus tard, le guerrier partisan des débuts a troqué son costume de «lanceur de bombe» du Tea Party pour un style plus modéré, mais aussi plus complexe. Le nœud papillon multicolore et bien visible constitue la seule entorse à sa discrétion. Muni de son humour pince-sans-rire et de son habile sens politique, Patrick McHenry fait profil bas et gravit les échelons du parti républicain dans l'ombre. Jusqu'à se hisser au poste de président du comité des services financiers de la Chambre.
«Ce qui a changé pour moi», confie-t-il calmement au quotidien News&Observer en 2017, «c'est que j'ai suffisamment ralenti pour respecter le processus et les personnes avec qui j'ai servi dans l'institution».
Parmi ses collègues législateurs, il se forge ainsi au fil des ans une réputation d'intello et de bosseur acharné. «Un conservateur sérieux, sans être un crétin» qui connait ses dossiers en profondeur, décrit un collaborateur de longue date à Politico. «J'ai reçu des SMS de sa part jusqu'à minuit, et dès 6 heures du matin», témoigne pour sa part le représentant républicain Steve Stivers de l'Ohio au Wall Street Journal. «Il donne juste l'impression de bosser tout le temps.»
Patrick McHenry ne reviendra sous les projecteurs nationaux qu'en janvier dernier, au moment de jouer les négociateurs en chef pour son allié de toujours, Kevin McCarthy. Habile stratège, le législateur mène les discussions avec une poignée de rebelles issus de la droite dure, qui s'opposent à l'accession de McCarthy au poste de speaker de la Chambre des représentants.
Sa capacité à rassembler différentes factions du parti lui vaut des éloges, y compris chez ses adversaires démocrates, et fait de lui une exception dans cette ère Trump du parti républicain, nettement plus turbulente et populiste que ne l'avait été celle du Tea Party de la fin des années 2000.
Ce rôle d'allié et de diplomate de premier plan, Patrick McHenri le conservera tout au long du bref mandat de président de Kevin McCarthy. De la crise du plafond de la dette, en juin dernier, au projet de loi de financement provisoire, adopté à la dernière minute ce week-end. Un plan qui vaudra à Kevin McCarthy la vengeance de Matt Gaetz et de quelques élus virulents. Et sa destitution historique.
Dans la foulée, son fidèle allié apprend son accession temporaire au rang de «président pro tempore». Une promotion inconfortable dont Patrick McHenry se serait sans doute bien passé. Mardi après-midi, sur l'estrade de la Chambre, après avoir annoncé une semaine de pause pour tout le monde (sacrée manière d'entamer un mandat présidentiel!), le speaker par intérim abat rageusement son marteau. Signe de son mécontentement ou simple maladresse? Dans tous les cas, sa vigueur devient virale sur les réseaux sociaux.
The Rep. Patrick McHenry gavel slam .... pic.twitter.com/TV1VGbkT7Y
— Howard Mortman (@HowardMortman) October 3, 2023
A lui désormais d'assurer ce job méconnu de president pro tempore. Un poste que personne n'a jamais occupé, faute de n’avoir jamais assisté au départ forcé d'un speaker. Un héritage du 11 Septembre 2001, qui garantit la continuité du gouvernement, en cas de disparition brutale ou d'incapacité dans ses plus hautes instances.
Patrick McHenry lui-même ignorait qu'il figurait sur la liste. Conformément aux règles établies en 2003, l'identité du successeur temporaire demeure secrète. A son élection, chaque nouveau président de la Chambre soumet sa liste de noms à son greffier. Elle n’est jamais divulguée publiquement. En janvier dernier, Kevin McCarthy n'avait donc pas manqué de se plier à cette tradition. Sans imaginer qu'il serait le premier à activer le processus.
A l’époque, le choix de son fidèle allié, Patrick McHenry, était logique. Après tout, il n'est pas étranger aux remplacements d'urgence. En 2017, il a brièvement occupé le poste de «whip adjoint» du parti républicain, lorsque son collègue Steve Scalise ait été blessé dans une fusillade sur un terrain de baseball, en Virginie.
Ce nouvel intérim s'annonce toutefois d'une tout autre ampleur: assurer le job jusqu'à ce que la Chambre détermine qui sera son prochain chef. C'est peu dire que la tâche s'annonce ardue, avec un parti et des membres aussi profondément divisés. Il y a dix mois, il avait fallu plus de 15 tours de scrutin pour désigner l'actuel chef en déroute. Cette fois, il n'est pas certain que les talents de négociateur de Patrick McHenry suffisent pour aboutir à un consensus.
En attendant, son intérim peut se prolonger aussi longtemps que nécessaire: le règlement intérieur ne précise pas combien de temps le président pro tempore peut rester au pouvoir. Une position inconfortable, certes, mais le malicieux législateur ne compte pas bouder son plaisir de taper du marteau. Sa première décision en tant que président par intérim n'a pas tardé à tomber: virer l'ancienne présidente Nancy Pelosi de son bureau caché du Capitole d'ici mercredi.
Si l'avenir de la Chambre est encore plein de points d’interrogations, il y a toutefois une certitude: l'intérim du premier président pro tempore de l’histoire américains ne sera pas dépourvu de surprises.