L’issue du sommet en Alaska n’a pas été aussi triomphante que l’espérait le président des Etats-Unis. Il a pourtant tout fait pour séduire Vladimir Poutine, avec un accueil pompeux et des concessions substantielles.
L’exigence, portée jusqu’ici par les Ukrainiens, les Européens et même Donald Trump lui-même, d’un cessez-le-feu immédiat a pourtant vite disparu des discussions. Aucune nouvelle sanction contre Moscou n’a été décidée. Vladimir Poutine repart donc en vainqueur.
Aujourd'hui, un nouveau sommet est prévu à Washington. Cette fois, Donald Trump reçoit son homologue ukrainien. Le souvenir de leur dernière rencontre, il y a six mois, reste cuisant: Donald Trump a humilié Volodymyr Zelensky dans les règles de l'art, et publiquement.
Cette fois, le président ukrainien ne viendra pas seul. L’accompagneront le chancelier allemand Friedrich Merz, le président français Emmanuel Macron, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président finlandais Alexander Stubb ainsi que le secrétaire général de l’Otan Mark Rutte.
Qu’est-ce qui attend Volodymyr Zelensky et ses alliés à la Maison-Blanche? Et qu’impliquerait une solution de paix imposée à l’Ukraine? Le politologue spécialisé en Europe de l’Est, Marcel Hirsiger, répond à nos questions.
Après son sommet avec Vladimir Poutine, Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait accepter sa proposition: l’Ukraine devrait renoncer à Donetsk, que la Russie ne contrôle pourtant pas entièrement, ainsi qu’aux territoires occupés dans le Sud. Volodymyr Zelensky peut-il accepter cela?
Marcel Hirsiger: A priori, non. D’abord parce que la Constitution définit clairement les frontières du pays. Ensuite, parce que la souveraineté territoriale est garantie en droit international. Le mémorandum de Budapest de 1994, signé par la Russie, confirme également ces frontières. Enfin, une telle cession légitimerait une invasion par la force et ouvrirait la porte à d’autres.
Mais Vladimir Poutine exige aussi «d’éliminer les causes profondes» de la guerre. Qu’entend-il par là?
Pour Moscou, la proximité de l’Ukraine avec l’Europe est un problème. Mais la Russie joue sur deux narratifs. L’un, destiné au public occidental, parle de «démilitarisation» et de «dénazification», des arguments évidemment infondés.
Et l'autre narratif?
Le second narratif apparaît surtout dans la propagande russe envers sa propre population. Là, on affirme que l'Occident est décadent et idéologiquement perturbé, ce qui le rend inacceptable aux yeux de la Russie, supposée être le défenseur des civilisations chrétiennes occidentales. L'objectif ultime de la Russie est de détruire l'ordre mondial occidental, en utilisant l'exemple de l'Ukraine pour tester jusqu'où l'Occident est prêt à défendre ses propres valeurs et ses réalisations. Il s'agit donc de la prétendue menace de l’Otan et de l’Europe de l'Ouest, mais aussi de véritables objectifs impérialistes.
Pensez-vous que Donald Trump comprend cela?
Rien ne permet de l’affirmer. Au contraire, tout laisse penser que Washington veut tourner la page européenne, sans égard aux véritables causes du conflit.
Quels dangers Volodymyr Zelensky court-il en se rendant à nouveau à la Maison-Blanche?
La relation avec Trump est déjà empoisonnée par l’incident du mois de février. Mais Kiev est sans doute mieux préparé cette fois-ci. Le plus grand risque est que l’affaire soit déjà bouclée, que Washington et Moscou aient arrêté les termes des concessions.
Dans ce cas, il n’aurait guère d’autre option que d’accepter provisoirement les pertes territoriales, non pas en droit, mais de facto, afin d’ouvrir la voie à un processus de paix.
Comment la population ukrainienne réagirait-elle?
C’est partagé. Une majorité estime toujours que les frontières de 1991 sont intangibles. Mais les Ukrainiens en ont marre de cette guerre.
Volodymyr Zelensky peut-il refuser cet accord?
Oui, il peut toujours invoquer le droit international. Mais l'Ukraine aura alors urgemment besoin de garanties de sécurité. Et si Washington ne s’engage pas, ce sera aux Européens d’assurer cette protection, et pas seulement sur le papier. Or, il n’est pas certain qu’ils soient prêts à déployer des soldats en Ukraine.
Quel rôle peuvent jouer Friedrich Merz, Emmanuel Macron et les autres présents lors du sommet de Washington?
Mais leur influence reste limitée. Trump a déjà montré qu’il pouvait reprendre les arguments européens pour mieux les balayer ensuite. Il faut espérer malgré tout que Kiev obtienne des garanties concrètes, des Etats-Unis comme des pays de ladite «coalition des volontaires», qui regroupe entre beaucoup d'autres l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder