Bernard Antony vient de rentrer de Saint-Moritz, où il a participé durant huit jours à un festival gastronomique. Il s'apprête à partir pour Paris, puis se rendra directement au Maroc. Partout, l'Alsacien emporte avec lui ses fromages.
Il n'est pas exagéré de dire que Bernard Antony est l'un des affineurs les plus célèbres au monde. Si cet homme de 83 ans n'était pas resté fidèle à sa région natale, le village de Vieux-Ferrette ne serait pas aussi connu aujourd'hui. Cette commune de 650 habitants attire des gourmets qui parcourent jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres pour venir s'approvisionner en fromage.
Vieux-Ferrette se trouve à une bonne demi-heure de route au sud-ouest de Bâle. Dans cette commune un peu endormie, Bernard Antony possède sept caves et un petit magasin à fromages extrêmement bien achalandé. La Fromagerie Antony se trouve dans la rue de la Montagne depuis 1986, et a été progressivement agrandie au cours des dernières décennies. Lorsque l'on entre dans cette maison verte à colombages, une forte odeur de fromage nous prend immédiatement aux narines. Le patron des lieux plaisante:
Sur les murs de l'agréable restaurant sont accrochées des photos de lui, accompagné de nombreuses personnalités. Les deux plus prestigieuses sont sans doute le prince Albert de Monaco, et le roi Charles III.
Lorsque le souverain britannique a visité la France, il y a deux ans, l'affineur lui a servi à Versailles, en compagnie d'Emmanuel Macron, une sélection de fromages. Il s'agissait notamment du bleu anglais Stichelton, et du fromage le plus connu de la région d'origine de l'affineur, le Comté. Lors de l'ouverture de l'Eurotunnel en 1994, la reine Elizabeth II avait déjà dégusté des fromages provenant des caves de l'artisan alsacien.
Des colis contenant certains de la centaine de fromages affinés à Vieux-Ferrette sont envoyés à travers le monde. Sur l'un d'entre eux figure l'adresse d'un hôtel de luxe à Hong Kong. De nombreux grands chefs apprécient les produits qui portent la signature de Bernard Antony. Ce dernier sourit:
Il entend par-là le nombre d'étoiles attribuées au total par le guide gastronomique à tous les restaurants qui proposent son fromage à leur carte.
Plutôt petit, lunettes sur le nez, celui qui se qualifie comme un «éleveur de fromages» porte un tablier beige à l'effigie de son établissement. Car Bernard Antony, toujours prêt à échanger quelques mots, aime servir lui-même ses clients. C'était déjà le cas à ses débuts, lorsque, dans les années 1970, il faisait le tour des villages du sud de l'Alsace avec un camion de marchandise. A son bord, on y trouvait des denrées alimentaires, mais aussi le nécessaire pour les besoins du quotidien. Car, souvent, le fromager passait ses journées sur la route.
C'est sa rencontre avec Pierre Androuët, un affineur et critique gastronomique parisien, qui l'a mis sur la voie qui allait le rendre célèbre.
L'Alsacien s'est aménagé une petite cave dans la maison de ses parents et a commencé à affiner des fromages qu'il achetait pour en faire des produits de haute qualité.
Malgré les quatre décennies qui se sont écoulées, peu de choses ont changé. Les caves sont devenues plus grandes et les technologies plus sophistiquées, mais le principe demeure le même. Ce père de deux enfants fait une comparaison avec l'éducation, lorsqu'il dit:
A Vieux-Ferrette, les différentes variétés sont affinées de quelques jours à plusieurs mois, avant d'être vendues et expédiées.
Pour la visite des caves à fromage, c'est Jean-François Antony, qui a repris la direction du business paternel, qui prend le relais. Il n'est pas nécessaire de descendre des escaliers, car les sept salles sont de plain-pied. Le fils explique que son père doit aussi son succès à sa personnalité:
Aujourd'hui encore, la famille Antony tient souvent un stand au marché de Bâle.
Pour l'affinage, certains fromages sont recouverts d'une solution d'eau salée. D'autres le sont avec du Marc de Bourgogne, une eau-de-vie à base de raisin. Chaque cave a une température différente et adaptée aux types de fromages qui y murissent. Ceux à pâte molle doivent être affinés durant moins longtemps que les fromages à pâte dure. 95% d'entre eux proviennent de France. Jean-François Antony déclare:
C'est le milieu de l'après-midi, un jour de semaine. Une file d'attente s'est formée dans la magasin de Vieux-Ferrette. Une dame âgée fait le plein de munster, de reblochon et de tomme de Chartreuse. Après que Bernard Antony lui a dit au revoir, elle quitte la boutique avec un sac rempli, sourire au visage.
Même après presque un demi-siècle, Antony ne pense pas à s'arrêter.
A son fils, il dit parfois avec malice: «Avec moi, tu as un bon collaborateur, qui ramène beaucoup d'argent à la maison». Au cours de sa vie, Bernard Antony a goûté des centaines de fromages différents. Mais il n'a pourtant pas de favori. Pour lui, c'est clair: «Chaque fromage est unique».