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Israël attaque Gaza: «On avance en terrain inconnu»

Char israélien Merkava en périphérie de Gaza. 13 octobre 2023.
Char israélien Merkava en périphérie de Gaza. 13 octobre 2023.Image: EPA

Israël attaque Gaza: «On avance en terrain inconnu»

L'expert Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la «Revue militaire suisse», expose les options d'une opération terrestre de l'armée israélienne dans la bande de Gaza.
13.10.2023, 20:5914.10.2023, 10:08
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Comment une armée s’y prend-elle pour conquérir un espace fortement urbanisé, comme l’est la bande de Gaza avec deux millions d’habitants?
Alexandre Vautravers: D’emblée, il faut rappeler une chose. Les différentes armées, que ce soit Tsahal ou les forces de l’Otan, ne disposent pas d’une doctrine permettant de maîtriser un territoire urbanisé de plus de 100 000 habitants. On est ici en train d’avancer dans un terrain inconnu. Chaque fois qu’ont été entreprises des opérations militaires en zone urbaine à grande échelle, comme ce dont il s’agit dans l’affaire de Gaza, cela s’est traduit par des succès tactiques, éphémères, mais souvent par des échecs de la phase de stabilisation, sur le long terme. En effet, s’il y a succès dans un premier temps, on sait qu’il n’est généralement pas durable.

Comment décrire militairement ce qu’Israël est en train de faire à Gaza?
Pour l’heure, ce sont principalement des opérations aériennes et, dans une moindre mesure, d’artillerie.​

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Israël exige le déplacement des habitants de Gaza vers le sud de la bande. Qu’en déduire?
Il y a deux dimensions dans cette annonce, l’une éthique, l’autre militaire. La première, c’est que l’armée israélienne conserve le mauvais souvenir des accusations de violation du droit international humanitaire portées contre lui lors de précédentes opérations militaires à Gaza. Citons l’opération Bordure protectrice de 2014, où environ 1500 civils Palestiniens, dont 300 femmes et 500 enfants, avaient été tués dans les bombardements de Tsahal, qui avaient duré cela dit plus d’un mois. Aujourd'hui, ce chiffre s’élève à 1200 civils, selon les autorités de Gaza, en trois ou quatre jours de bombardement seulement.

«En demandant d’évacuer, Israël prend le monde à témoin de sa volonté d’épargner le plus possible les pertes collatérales. On ne pourra pas dire qu’il n'avait pas prévenu des risques»

Ensuite, d’un point de vue militaire, plus il y a d’habitants dans un territoire dans lequel on opère, plus cela ajoute à la complexité des opérations.

Quelle opération s’apprête à mener Israël à Gaza?
Depuis une dizaine d’années, on parle d’opérations multi-domaines. Les Américains appellent cela «6 D», soit six dimensions, le sol, l’air, la mer, à quoi s’ajoutent l’information, le cyber et l’espace, c’est-à-dire les satellites. Il serait hautement improbable qu’une opération d’envergure à venir n’intègre pas ces six dimensions à la fois. Ceci posé, on semble se diriger vers une opération où les forces terrestres devront intervenir. L’armée d’active ne compte qu’environ 100 000 hommes. Il faudra donc également engager les réserves, soit plus de 360 000 soldats.

Vous dites, «on semble se diriger vers une opération terrestre», ce n’est pas certain?
Le conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe échappe à la rationalité, tant le conflit dure depuis longtemps et tant les causes sont nombreuses. Ce conflit – notamment sa perception, en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde – est très émotionnel et politique. Je ne peux honnêtement pas vous dire avec certitude ce qui sera réellement entrepris à la fois politiquement et militairement par Israël dans les prochains jours. S’agira-t-il d’occuper le terrain? Peut-être.

«A ceci près que l’ensemble des ressources de l’armée israélienne ne suffira pas à occuper durablement la totalité de ces territoires»

Que peut-on alors imaginer?
Deux choses. Premièrement, des raids mécanisés au travers de certaines localités, en comptant que l’ennemi se découvre et soit ainsi neutralisable. Cela a été fait avec un certain succès par les Américains en Irak. Dans ce type d’action, il ne s’agit absolument pas d’occuper le terrain. Deuxième possibilité, comme là encore les Américains l’ont fait lors de la bataille de Falloujah en Irak en 2004, un quadrillage de la zone. Cela signifie qu’on définit un certain nombre d’espaces géographiques, qu’on verrouille et qu’on passe au peigne fin pour en déloger la partie adverse.

Peut-on comparer, côté israélien, la donne militaire à Gaza à celle de Mossoul en Irak, lorsque la coalition internationale a entrepris en 2016 de reprendre la ville à l’Etat islamique? Le premier ministre Benjamin Netanyahou compare d’ailleurs le parti islamiste et ses groupes armés à Daesh. Mossoul avait été copieusement bombardée pour en faire sortir Daech.

«Oui, au-delà de la symbolique, Gaza ressemble à Mossoul ou comme je le disais plus tôt, à Falloujah»

Il s’agit de procéder, si c’est bien cela qui devait être mise en œuvre, à un quadrillage de la ville, en espaces dans lesquels il est possible aux forces terrestres d’agir. Mais cela ne se fait pas d’un coup, c’est progressif, carré après carré.

Pourquoi n’a-t-on pas imaginé de doctrine de conquête globale pour un territoire urbanisé de plus de 100 000 habitants?
Parce qu’on sait que vouloir s’emparer d’un seul coup d’un tel territoire ne fonctionne pas. Plus le milieu est grand et complexe, pensons aux nombreux tunnels à Gaza, moins il est possible de le maîtriser. On peut bien sûr décider de raser la ville par des tapis de bombes, mais on entrerait là dans une autre dimension.

Est-ce que la question des otages israéliens est un élément de la donne militaire israélienne?
Les Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, ont annoncé vendredi matin la mort de 13 otages dans les bombardements des avions israéliens.

«La situation pose un terrible dilemme: attendre afin de préparer les forces et d’agir avec efficacité, ou agir vite avant que les otages ne succombent, avec potentiellement davantage de dommages et de pertes collatérales»

Cela dit, préparer une offensive, qui plus est terrestre, demande du temps, de la coordination, pour éviter les tirs fratricides et si l’on tient à épargner le plus de vies possibles parmi la population gazaouie. On constate toutefois qu’il aura fallu peu de temps pour qu’une partie des otages meure, si l’annonce de leur mort est exacte. Israël semble décidé à mener une guerre qu’on pourrait qualifier de totale.

Quelle suite imaginer à une opération militaire israélienne?
Le mode de contrôle des frontières et les relations entre Israéliens et Palestiniens seront certainement profondément modifiés par ces actions.​

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