En Ukraine, c'est une vie sous les tirs en continu. Les soldats doivent rester au combat pendant des mois. Malgré les combats sanglants, les lignes de front ne bougent que très peu. Ni l'Ukraine ni la Russie ne sont en mesure de réaliser des gains territoriaux importants. Le front semble inamovible, gelé. Mais cette impression est trompeuse.
La Russie et l'Ukraine sont engagées dans une guerre d'usure depuis un certain temps déjà. Comme aucun des deux camps ne peut réaliser de percée majeure, il s'agit de savoir qui pourra mobiliser le plus de matériel de guerre, de munitions et de soldats dans les mois à venir. Dans ce contexte, l'Ukraine semble avoir de moins en moins de cartes en main.
Le matériel de guerre et les munitions font l'objet de nombreuses discussions en Occident en cette fin d'année. Alors que Vladimir Poutine réoriente de plus en plus son économie vers la production de guerre, les paquets d'aide des Etats-Unis et de l'Union européenne sont en suspens. En matière de personnel également, les nouvelles sont désormais inquiétantes pour les dirigeants ukrainiens. La mobilisation piétine, l'Ukraine envoie de plus en plus d'hommes âgés au front.
La Russie et l'Ukraine gardent le secret sur leurs chiffres de pertes au combat. Mais selon les experts, l'armée russe a perdu beaucoup plus de soldats. Les services de renseignement britanniques et américains estiment que plus de 300 000 soldats russes ont été blessés ou tués. Le gouvernement américain a fait savoir que la Russie avait perdu 87% des troupes au sol qui étaient prêtes à intervenir à la frontière au début de l'invasion en février 2022. Ces chiffres sont des estimations car les armées ne communiquent pas officiellement sur ces sujets.
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Il semble toutefois certain que l'armée russe a envoyé nettement plus de personnes à la mort. La bataille de Bakhmout, en ruines après les combats où les Russes se jetaient sur les Ukrainiens par vagues, a montré que le Kremlin n'hésitait pas à envoyer ses soldats en masse pour tenter de gagner quelques kilomètres.
C'est dans cette logique que, début décembre, Poutine a annoncé vouloir augmenter l'armée russe de 170 000 soldats supplémentaires. Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, car la Russie a connu plusieurs vagues de mobilisations depuis le début de l'offensive.
Kiev peut moins se permettre ces pertes, car le pays dispose de moins de réserves que l'armée russe. Jeudi, les dirigeants ukrainiens ont annoncé qu'ils avaient besoin de 450 000 à 500 000 soldats. C'est pourquoi Kiev souhaite enrôler les Ukrainiens âgés de 25 à 60 ans qui ont fui à l'étranger. Cette mobilisation ne sera pas facile même si une grande partie de la population ukrainienne défend volontairement son pays contre les envahisseurs russes.
Les combats de tranchées sanglants ne devraient pourtant guère inciter les Ukrainiens à l'étranger à se porter volontaires. Kiev les menacent désormais de sanctions s'ils ne se présentent pas aux centres de recrutement de l'armée.
En termes de personnel, l'Ukraine est actuellement confrontée à plusieurs problèmes. D'une part, les longues lignes de front nécessitent davantage de soldats. Les observateurs sur place rapportent qu'il n'y a presque plus de rotation. Cela signifie que les possibilités pour les soldats de prendre une permission au front pour se reposer après des mois de combat se réduisent de plus en plus. En revanche, les troupes combattantes sur le front souffrent d'une grande fatigue et d'un épuisement psycho-émotionnel, ce qui diminue leur capacité de combat.
Le vieillissement de l'armée ukrainienne est un autre problème. L'âge moyen des soldats est actuellement d'environ 43 ans. Au cours de la guerre, qui s'est soldée par de nombreuses pertes, des classes d'âge de plus en plus âgées ont été enrôlées. Actuellement, il est encore interdit d'enrôler des hommes de moins de 27 ans s'ils n'ont pas d'expérience militaire préalable. Le président Volodymyr Zelensky avait certes prévu d'abaisser l'âge à 25 ans. Mais il hésite encore aujourd'hui à signer. Il semble craindre les conséquences de cette mesure impopulaire sur la politique intérieure.
Selon le commandant en chef ukrainien Valeri Zaloujny, il n'y a pas encore de problème de personnel, mais il a néanmoins tiré la sonnette d'alarme dès le début du mois de novembre dans une interview avec l'hebdomadaire The Economist. L'Ukraine doit constituer davantage de réserves, car la Russie, avec sa population plus importante, dispose de capacités en personnel trois fois plus élevées, a déclaré le général, ajoutant:
Il est clair que les Ukrainiens ne veulent pas finir comme de la chair à canon, à l'image des soldats russes. Certains paient l'équivalent de 675 euros par mois pour acheter leur liberté. D'autres ont recours à la corruption ou prétextent des maladies pour ne pas être enrôlés. Le Parlement ukrainien a adopté en août une loi qui réduit considérablement le nombre de raisons médicales justifiant une inaptitude au service. Mais le problème de la corruption demeure.
Même si la situation du personnel n'est actuellement pas aussi critique pour l'Ukraine que le manque d'armes et de munitions, l'Ukraine ne peut pas repousser ce problème aux calendes grecques. En effet, les forces mobilisées doivent d'abord être formées et ne sont pas immédiatement opérationnelles.
Dès le début, les alliés occidentaux ont clairement fait savoir qu'ils n'enverraient pas de forces au sol en renfort. Pour les dirigeants ukrainiens, les choses sont claires: s'ils ne disposent pas d'assez d'hommes, cela pourrait être le début de la fin dans cette guerre, face à la Russie bien plus peuplée.