C'est une première depuis le début de la guerre: la semaine dernière, l'Ukraine a tenté – et réussi – une incursion sur le territoire russe. Près de 10 000 soldats ont été déployés et ont progressé de près de 40 kilomètres, pour une prise de territoire d'environ 350 kilomètres carrés. Lundi après-midi, le gouverneur de la région de Koursk, Alexeï Smirnov, estimait que 28 localités étaient tombées aux mains des Ukrainiens et que plus de 120 000 civils ont quitté la zone.
Les troupes de Kiev ne devraient, cependant, pas progresser beaucoup plus, estime Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. «Au vu des forces engagées, cette riposte n'ira pas beaucoup plus loin», indique l'expert.
«Des brigades et des moyens logistiques supplémentaires seraient nécessaires afin d’exécuter un changement d’échelon et ainsi poursuivre la progression», explique-t-il. A ce sujet, sur les 10 000 hommes présents, les troupes de combat ne montent qu'à environ 1500 hommes, «soit deux brigades».
Par troupes de combat, on entend principalement l'infanterie et les unités de chars. Le reste des hommes assume des missions d'appui au combat, comme les troupes du génie ou d'artillerie, mais d'appui logistique, comme le ravitaillement et la maintenance.
L'objectif principal? Semer la zizanie chez les Russes. «En effectuant par surprise cette action, les Ukrainiens désorganisent la gestion du combat pour les Russes et vont les contraindre à dépêcher des réserves», note Alexandre Vautravers. Il complète: «Cela limite donc leur liberté d'action.»
«Les Russes auront perdu des jours, peut-être des semaines, avec ces déplacements de troupes et de matériel», estime le rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. Les troupes ukrainiennes pourraient se préparer à mener un combat défensif pour forcer les Russes à dépenser de l'énergie sur cette zone.
L'expert sort la calculatrice: «Pour reprendre cette poche, les troupes de Moscou auront besoin de trois fois plus d'hommes que celles de Kiev.» Le ratio est bien connu: il faut au moins trois attaquants pour défaire un défenseur. C'est le cas dans cette région peu urbaine et plate, «où les distances d'engagement sont importantes».
«Pour les 10 000 Ukrainiens engagés sur cette tête de pont, il faudra mobiliser et déplacer 30 000 soldats russes pour mener des opérations de nature offensive. Et on ne peut pas retirer 30 000 ou 40 000 soldats du front d'un coup», explique celui qui a aussi servi comme colonel de milice au sein d'une brigade motorisée.
Quant au contrôle d'une station de pompage du gaz de Gazprom ou la présence d'une centrale nucléaire dans la région, il ne s'agit pas d'objectifs militaires réels, selon l'expert.
De plus, cette centrale compte deux réacteurs actifs, sur les 36 que compte la Russie. «Rien à voir avec Zaporijia, par exemple, qui compte six des quinze réacteurs présents en Ukraine, soit pas loin de la moitié», indique Alexandre Vautravers. «Les conséquences sur le plan énergétique ne sont pas les mêmes.»
Plusieurs recrues ont aussi été capturées. «Les forces russes immédiatement à proximité sont des unités à l'entraînement. A l'école de recrue, si on veut comparer avec le système suisse. Ils n'ont pas beaucoup de matériel et n'étaient pas capables d'engager le combat.»
Ces recrues pourront être utilisées comme monnaie d'échange par Kiev contre d'autres soldats ukrainiens en captivité en Russie. Mais surtout, elles ne pourront pas, dans quelques mois, remplacer les troupes russes qui combattent actuellement sur le front. Un élément de plus qui participera à fatiguer les troupes de Poutine.
La population russe, d'ailleurs, vit plutôt mal cette invasion d'un bout de son territoire. Sur les réseaux sociaux, les vidéos de civils russes en pleurs, pris par surprise par l'opération de Kiev, sont légion. Dans d'autres, on peut voir les citoyens enregistrer des messages publics à destination de Poutine, où ils supplient leur président de venir leur porter assistance.
Dernier élément: les conséquences politiques. Des têtes vont-elles tomber avec ce qui peut être considéré comme une victoire ukrainienne, comme celle du chef des armées, Valeri Gerassimov? Alexandre Vautravers n'y croit pas, et pour une raison bien simple: