Le gouverneur de la région russe de Koursk scrute la caméra avec inquiétude. En fait, Alexeï Smirnov veut rassurer, mais il doit lui aussi admettre que «la situation à la frontière est tendue, il y a des combats». Il demande à la population de ne pas céder à la panique et de s'adresser aux autorités en cas de besoin. «Nous viendrons à la rescousse», promet-il. L'évacuation de milliers de Russes a débuté mercredi.
Selon des informations en provenance de Russie, les troupes ukrainiennes ont franchi la frontière en direction de Koursk dès mardi matin. Plusieurs centaines de soldats, une douzaine de chars de combat et plus de 20 véhicules blindés ont participé à l'opération. Puis, le soir, le ministère de la Défense lève l'alerte depuis Moscou: «L'ennemi a été repoussé par des tirs d'artillerie, des frappes aériennes et des drones de combat». Mais de sérieux doutes subsistent après cette affirmation.
Des blogueurs militaires russes dressaient, mardi soir, un tout autre tableau de la situation: près des localités de Sverdlikovo et de Soudja, la situation resterait préoccupante. Des troupes ukrainiennes s'y seraient rassemblées en vue d'une attaque majeure, mercredi. Sverdlikovo se trouve juste derrière la frontière alors que Soudja est située à une dizaine de kilomètres dans le territoire.
En quelques heures, les combattants ukrainiens auraient donc autant progressé que les troupes du Kremlin au début de leur offensive surprise dans la région de Kharkiv à la mi-mai. Faut-il y voir le début d'une nouvelle avancée majeure des forces armées de Kiev?
Probablement pas. Les intentions du commandement militaire ukrainien restent difficiles à cerner. Il ne s'est en effet pas encore exprimé à ce sujet et l'attaque n'a pas été confirmée.
Quelques centaines de soldats et une trentaine de chars et de véhicules blindés ne suffiront pas à conquérir et à conserver durablement de vastes territoires en Russie. Avec cette opération sur le sol russe, Kiev a donc probablement un autre objectif en tête. Qui est certainement lié à la situation actuelle sur le front ukrainien.
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Depuis le printemps, la Russie gagne lentement, mais sûrement du terrain, surtout dans la région de Donetsk. La conquête de la ville d'Avdiïvka à la mi-février a finalement déclenché ce processus. Moscou avait alors profité des problèmes de l'armée adverse: manque de munitions et d'équipement, pénurie de soldats pour assurer la rotation sur le front et développement insuffisant des installations de défense à l'arrière.
L'offensive russe au nord-est de Kharkiv devait compliquer la tâche de l'ennemi. Un moyen d'allonger encore le front, qui s'étendait déjà sur plus de 1000 kilomètres. L'armée ukrainienne a dû envoyer des troupes et des équipements dans cette zone, qui ont ainsi fait défaut ailleurs.
Dans la région de Donetsk en particulier, cela se traduit par des gains territoriaux russes. Rob Lee, un expert du think tank américain Foreign Policy Research Institute confirme, sur X, cette impression:
Selon lui, cela empêche l'Ukraine de stopper les avancées à Donetsk. L'offensive russe à Kharkiv a aggravé la situation. On se demande alors désormais comment l'opération des Ukrainiens à Koursk va se répercuter sur les combats ailleurs.
L'Ukraine semble désormais tenter de renverser la vapeur. L'opération qu'elle mène actuellement se distingue en effet des précédents franchissements de frontière. En mai et juin 2023 ainsi qu'en mars dernier, des milices pro-ukrainiennes avaient déjà attaqué le territoire russe dans les régions de Belgorod et de Koursk, mais s'étaient retirées peu de temps après. Il s'agissait avant tout de «petites piques», expliquait en mars l'expert militaire Nico Lange dans un entretien avec t-online.
Il semblerait, toutefois, que des troupes ukrainiennes conventionnelles aient désormais franchi la frontière. Selon les informations russes, la 22ᵉ brigade mécanisée, déjà mobilisée lors la bataille de Bakhmout, qui a duré des mois, serait impliquée. L'appel à des unités mieux équipées indique que l'Ukraine souhaite faire durer l'opération. Les troupes essaieront probablement de rester le plus longtemps possible de l'autre côté de la frontière, tout en limitant le nombre de pertes.
Selon les données russes, au moins 5 civils auraient été tués jusqu'à présent et plus de 20 autres blessés. Le Kremlin affirme en outre avoir repoussé des attaques de drones et de missiles. Des images d'un hélicoptère militaire, de chars de combat et de véhicules blindés détruits ou calcinés circulent en outre sur les réseaux sociaux. Il n'a pas été possible pour l'instant de les attribuer à l'une ou l'autre armée. Les Ukrainiens auraient en outre capturé des soldats.
Kiev pourrait donc poursuivre deux objectifs principaux:
Au cours des derniers mois, l'Ukraine a lancé des attaques de drones sur les infrastructures pétrolières et les bases militaires, parfois loin dans l'arrière-pays russe.
Cela semble avoir surpris l'ennemi. Sinon, les Ukrainiens n'auraient pas pu avancer aussi rapidement. Néanmoins, l'effet pourrait bientôt s'estomper: depuis les dernières incursions ukrainiennes à la frontière, la Russie a renforcé sa présence dans la région, principalement en raison de l'offensive de Kharkiv, écrit encore l'expert militaire Rob Lee:
Lee estime donc qu'il est «peu probable» que la Russie manque de combattants. Kiev pourrait malgré tout se tirer une balle dans le pied avec cette avancée. Les forces engagées à Koursk sont également nécessaires de toute urgence ailleurs sur le front.
«Une opération limitée peut peut-être permettre d'atteindre des objectifs limités, mais une opération plus ambitieuse comporte des risques plus importants», analyse le spécialiste. «Celle-ci n'impactera probablement pas significativement le cours des événements, et les incursions transfrontalières précédentes n'ont pas eu de répercussions sérieuses sur la politique intérieure de Poutine». Mais les informations manquent encore pour évaluer définitivement les choses, avertit-il.
La volonté de semer le chaos et la confusion en Russie s'avère donc être un objectif plus probable. Après de nombreux revers au cours des derniers mois, les Ukrainiens ont besoin d'annoncer des succès, notamment pour conserver leurs soutiens en Occident. Même s'il ne faut pas s'attendre à des «conséquences majeures», une bouffée d'oxygène serait la bienvenue. Après de nombreux mois à défendre sans relâche leurs positions dans le Donbass, de nombreuses unités en auraient bien besoin.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)