Bien sûr, Xi Jinping a déroulé le tapis rouge à son «vieil ami» Vladimir Poutine. Tandis que les soldats marchaient au pas, que la fanfare battait le tambour et qu'un groupe d'enfants poussait des cris de joie euphoriques, les deux chefs d'Etat ont fait leur entrée dans la Grande Salle du Peuple jeudi matin.
Il était évident que Poutine voulait obtenir des accords économiques lors de sa première visite à l'étranger de son nouveau mandat. En effet, la Russie a besoin de commercer avec l'économie chinoise pour pouvoir équilibrer les sanctions occidentales. Les deux parties ont signé une petite dizaine de documents lors d'une cérémonie festive, allant des infrastructures au secteur de l'énergie en passant par l'échange d'informations.
Ce marathon des signatures a été accompagné d'une déclaration à la presse qui ressemblait à un concert de louanges. Xi et Poutine ont tous deux indiqué vouloir continuer à développer la coopération entre les deux pays.
Mais dès le début, le président russe ne s'est pas caché d'être là certes pour les profits économiques, mais pas que: l'ancien et le nouveau ministre de la Défense de Poutine étaient assis à la table avec lui. Sergueï Choïgu était même assis à ses côtés.
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Si le symbole n'était pas assez fort, l'agenda complet de la visite d'Etat devrait à lui seul tirer toutes les sonnettes d'alarme à Bruxelles et à Washington. Ainsi, Poutine se rendra vendredi dans le nord de la Chine pour visiter le «Harbin Institute of Technology» (HIT).
Mathieu Duchâtel, analyste à l'Institut Montaigne (France), qualifie cette décision de «significative», qui dirait deux choses: d'une part, que la Chine et la Russie se solidariseraient contre les sanctions américaines. Et d'autre part, que la Chine mettrait davantage sa technologie de défense à disposition de la Russie.
En effet, le HIT fait partie des universités qui entretiennent de fortes relations avec l'armée chinoise. Selon le groupe de réflexion australien Aspi, le HIT consacre près de la moitié de son budget de recherche à la défense.
Le fait que la Chine courtise autant le président russe n'est pas seulement lié à la prospérité économique issue du commerce avec ce puissant voisin. Bien sûr, de son côté, Pékin profite énormément des livraisons de pétrole russe à bas prix. Mais Xi Jinping a plus à y gagner: Poutine est un partenaire utile pour donner un coup à l'Occident. Ensemble, les deux puissances nucléaires veulent saper l'ordre mondial international.
En particulier à l'heure actuelle, le partenariat sino-russe est un défi pour l'Occident politique. Il suffit de se souvenir des dernières semaines. Olaf Scholz, le chancelier allemand, et Emmanuel Macron, le président français, ont tous deux demandé au chef d'Etat chinois, lors d'un entretien personnel, que la Chine réduise ses exportations de biens à double usage vers la Russie.
Autrement dit, des produits qui incluent des capteurs optiques et des pièces de drones dont Moscou a besoin pour son industrie de l'armement. Mais, une semaine plus tard, Poutine est accueilli à Pékin à grand renfort de gestes amicaux et d'accords alors qu'il est en train de planifier sa prochaine grande offensive en Ukraine.
Si le message de l'Europe n'est pas pris au sérieux à Pékin, c'est probablement aussi en raison des dissensions au sein de l'Union européenne. Car Xi sait qu'il peut jouer habilement avec les intérêts des différents Etats lorsqu'il fait miroiter des assouplissements économiques et un meilleur accès au marché.
Seule la menace des Etats-Unis semble avoir eu un impact jusqu'à présent. Le fait que les exportations chinoises vers la Russie aient à nouveau diminué en début d'année est lié à l'intervention du secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken à Pékin. Celui-ci a clairement indiqué que le soutien de la Chine à la machine de guerre russe aurait des conséquences. Et bien entendu, la grande majorité des entreprises chinoises ont très peur de se retrouver dans le collimateur des autorités américaines chargées des sanctions.
La guerre en Ukraine a tout de même été largement évoquée entre Xi et Poutine lors de leurs entretiens communs, même si les deux chefs d'Etat n'ont jamais parlé que de «crise» dans leur jargon. Xi Jinping a déclaré:
Ce qui sonne bien sur le papier risque toutefois d'être peu crédible dans la pratique. En effet, la Chine ne soutient de facto les négociations qu'aux conditions posées par la Russie. Ainsi, Pékin n'a jusqu'à présent pas soutenu publiquement la conférence de paix prévue en Suisse et n'a même pas encore confirmé si elle enverrait une délégation. Dans les milieux diplomatiques, on dit qu'il est possible d'exclure des représentants de haut rang de la République populaire.
Et jusqu'à présent, dans le conflit en Ukraine, la Chine accuse presque exclusivement les Etats-Unis de «jeter de l'huile sur le feu». La Russie, en revanche, a des «intérêts légitimes en matière de sécurité» et n'a jusqu'à présent pas été critiquée une seule fois par Pékin. Le fait que Poutine menace à nouveau d'utiliser des armes nucléaires n'a pas non plus été évoqué lors de la visite d'Eetat. Les sous-entendus critiques ne devraient donc manifestement pas troubler l'harmonie sino-russe.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)