Depuis plus de trois ans, Lidia Isayeva, 86 ans, vit seule dans une cave pour se protéger des frappes qui ont déjà détruit son appartement et une partie de sa ville de l'Est ukrainien, Lyman. Mais en partir? «Jamais!»
«J'ai un paradis ici», assure-t-elle contre toute vraisemblance dans l'étroit couloir souterrain lui servant de cuisine, où des oignons en train de rissoler masquent l'odeur de renfermé. La retraitée, pull violet et chaussons de feutre, admet tout de même qu'elle n'aurait pas pensé qu'un jour «la vie ressemblerait à ça.»
Plus loin, une petite pièce abrite un fauteuil et un calendrier, sur lequel elle raye religieusement chaque jour passé. Dans le Donbass, écrasé par l'invasion russe de 2022 et encore avant par le conflit séparatiste fomenté par Moscou, les combats ont transformé des villes en squelettes de béton. Cela a forcé des habitants à chercher refuge en sous-sol.
Mais malgré des conditions de vie intenables, certains s'accrochent aux ruines et aux souvenirs de leurs cités d'origine. L'AFP a rencontré Lidia Isayeva dans son sous-sol à plusieurs reprises depuis l'an dernier, sans que son discours varie. Là où certains habitants partent pour mieux revenir, elle refuse de s'éloigner du cimetière de la ville, où repose son mari:
Une voisine de Lidia, Valentyna Romenska, raconte avoir été évacuée vers Kiev il y a trois ans. Tout allait bien jusqu'à ce que cette retraitée de 86 ans découvre des punaises de lit dans son nouveau logement.
Elle a préféré retourner chez elle, à une dizaine de kilomètres du front, et ne voit aucune raison d'en partir de nouveau. Les explosions alentour ne la dérangent pas, assure-t-elle, car elle est «un peu sourde». Et de toute manière, comme elle le clame canne en main:
Les courtes trêves qui ont été déclarées à deux reprises ces derniers mois n'ont pas stoppé entièrement les combats, mais ont en revanche encore compliqué le travail d'évacuation. Edouard Skoryk, 33 ans, de la fondation East SOS déclare:
Selon son collègue Roman Bougaïov, les gens «veulent espérer» que tout s'arrangera et sont, pour cela, prêts à croire aux «rumeurs». Mais, comme le souligne le trentenaire, la mine grave:
Edouard Skoryk dit s'être rendu il y a peu devant une maison dont il devait évacuer les habitants. Une fois sur place, il a découvert l'édifice rasé par une frappe.
Les autorités régionales appellent régulièrement les habitants proches du front à fuir, et les évacuations deviennent obligatoires dans les zones les plus risquées, surtout pour les familles avec des enfants.
Le refus obstiné de certains résidents laisse pantois les volontaires qui risquent leurs vies pour les évacuer. Beaucoup ont eux-mêmes dû fuir leurs villes d'origine et savent que partir est effrayant. Mais choisir de rester, «je ne comprends pas», admet Roman Bougaïov, se disant «indigné».
Il leur faut parfois déménager la même famille «deux, trois, quatre fois», se désespère Pavlo Diatchenko, policier membre de l'unité des «Anges blancs», spécialisée dans les évacuations.
Il arrive qu'une personne soit évacuée, revienne et soit tuée par une frappe. Certains des récalcitrants attendent discrètement l'arrivée de l'armée russe, même s'ils ne sont qu'une minorité. D'autres restent, craignant de ne pas avoir assez d'argent pour vivre ailleurs. Les déplacés internes reçoivent une allocation mensuelle, équivalent à 40 francs pour un adulte et près de 60 francs pour un enfant, selon le ministère de la Politique sociale.
Mais Lidia Isayeva assure qu'il lui faudrait «un sac d'argent» pour partir, car ses économies ne suffiraient pas dans des régions où le coût de la vie est plus élevé qu'à proximité du front.
Avec l'expérience, explique Pavlo Diatchenko, les équipes savent très vite si une personne peut être persuadée, ou s'il ne sert à rien de «perdre son temps». Il arrive tout de même qu'ils soient surpris. Le policier cite l'exemple d'une femme qui refusait mordicus de quitter Pokrovsk, ville sous un feu russe constant. En dernier recours, l'équipe venue la chercher lui a montré une vidéo enregistrée par sa sœur, qu'elle n'avait pas vue depuis dix ans. Celle-ci, à l'origine de la demande d'évacuation, lui disait: «Je t'attends». En quelques minutes, elle a fait ses valises, et est partie avec eux. (ysc/led/bur/ant/mm)