Les négociations étaient en cours depuis des mois. Complexes, âpres, délicates. Mais pour l'Arabie saoudite, Israël et les Etats-Unis, trois acteurs aussi puissants qu'exigeants, le jeu en valait amplement la chandelle: la reconnaissance officielle, enfin, de l’Etat hébreu par les Saoudiens. Un acte symbolique pour le leader du monde musulman, l’un des ultimes pays arabes à ne pas avoir franchi le cap. Surtout, le début d'une «nouvelle ère de paix» pour le Moyen-Orient et le monde.
Rembobinons. Il y a trois semaines, le processus de normalisation va bon train. Les termes de cet accord historique sont toujours en cours d’élaboration, mais les négociations avancent «un peu plus chaque jour». Parole de l'influent prince saoudien Mohammed Ben Salmane, 38 ans, l'un des architectes de l'accord aux côtés des Etats-Unis, sur la chaîne Fox News.
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Avant de céder, l'homme fort de l'Arabie saoudite a évidemment posé ses conditions. Augmentation des ventes d’armes et pacte sécuritaire de défense mutuelle avec les Etats-Unis, aide à son programme de développement nucléaire mais, surtout, de sérieuses concessions envers les Palestiniens, afin de leur «assurer une bonne vie». La pierre d'achoppement sur laquelle bute Benjamin Netanyahou. Le premier ministre, à la tête du gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël, est cependant prêt à faire des efforts.
Jusqu'à ce que, samedi 7 octobre, tout bascule.
L'attaque surprise du Hamas et la réponse israélienne qui lui emboîte le pas mettent en péril des années d'efforts diplomatiques. Sans être enterrées totalement, les négociations se trouvent désormais au point mort. Avec pour seule perspective, pour les responsables américains, de guetter anxieusement la réaction du prince Mohammed, surnommé «MBS», et un éventuel changement de position.
C'est dire si sa première réaction n'a pas été encourageante. Le jour-même de l'assaut, un communiqué au vitriol tombe du ministère des Affaires étrangères saoudien. Tout en évitant soigneusement de condamner l’attaque du Hamas, il impute, en creux, la responsabilité aux «forces d’occupation israéliennes». Un message qui n'augure en rien un apaisement des tensions israélo-saoudien.
Après la réaction à chaud, l'heure est pourtant à l'attente et l'observation pour les Saoudiens. En ce qui concerne l'accord, «tout est en suspens», comme le confirme notamment le grand spécialiste du Moyen-Orient et ancien directeur de la planification politique, l'Américain Dennis Ross, lors d'une réunion avec des journalistes plus tôt cette semaine.
Si tout espoir de normalisation n'est pas encore perdu, aboutir à une entente alors que l'armée israélienne pilonne les populations palestiniennes de Gaza semble «difficile», concède un analyste saoudien anonyme au New York Times, avant d'ajouter que les Saoudiens attendent d'abord «un cessez-le-feu».
Dans l'intervalle, le prince Mohammad ben Salmane doit maîtriser l'énorme vague de colère qui a déferlé à travers le monde arabe, dans la foulée des images de cadavres de Palestiniens, abandonnés après l'offensive israélienne. Des Arabes déjà très courroucés par l'entreprise saoudienne de normalisation avec Israël, qui ne prenait pas en compte la nécessité d’un Etat palestinien, avec lequel ils sont solidaires depuis des générations.
Reste que pour MBS, qui aspire à devenir la figure politique la plus importante de la région, cette crise représente une opportunité en or de redorer son blason à l'échelle internationale. L'héritier de la monarchie absolue a longtemps traîné une réputation de paria sur la scène internationale. Un «prince sanglant», assis sur les valeurs de liberté d’expression et de droits de l’homme, comme sur un trône de fer.
Cinq ans plus tard, force est d'admettre que le dictateur au sourire radieux et à la main de velours a remarquablement bien réussi sa réhabilitation. Accord après accord, décision après décision, le leader saoudien est parvenu à mettre le scandale du meurtre de Jamal Khashoggi derrière lui et à s'imposer comme un acteur diplomatique.
Au lendemain-même de l'offensive, Mohammed ben Salmane et son ministre des Affaires étrangères ont multiplié les prises de contact avec leurs homologues étrangers. Objectif: tendre la main et s'accorder sur un «plan d'action commun». Palestine, Egypte, Jordanie, Qatar, Etats-Unis, Union européenne et même l'ancienne rivale, l'Iran, pourtant largement soupçonnée d'avoir joué un rôle décisif dans l'assaut sur Israël.
Mercredi soir, MBS et le président iranien Ebrahim Raïssi ont échangé pendant pas moins de 45 minutes à propos de l'escalade en cours - bien au-delà des normes protocolaires habituelles. Leur tout premier entretien public depuis la signature d'un accord de détente, signé sept mois plus tôt.
Ne nous méprenons pas. Les aspirations pacificatrices de MBS n'ont rien de désintéressées. Au-delà de retirer les taches de sang de sa tunique en soie, le prince ne peut surtout pas se permettre une nouvelle vague d'instabilité au Moyen-Orient. Le bon développement et la prospérité économique de son royaume dépendent du bon maintien de l’équilibre régional.
Sans oublier l'aboutissement de sa «Vision 2030», ambitieux plan de transformation de l'économie saoudienne, dont l'objectif est de libérer le pays de sa dépendance au pétrole et d'atteindre les quelque 150 millions de visiteurs par an d’ici 2030.
Après la normalisation de ses relations avec l'Iran, l'accord avec Israël était la prochaine étape de MBS pour servir les desseins pour son royaume. Ce qui ne l’a pas empêché de confirmer, ce samedi, avoir «suspendu les discussions» et «informé les responsables américains», selon une source proche du dossier à l’AFP. Une suspension dans ce dangereux jeu diplomatique, certes, mais pas la fin de tout espoir de victoire pour les Etats-Unis. La présence du secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, ce week-end à Ryad, en est la preuve.