«La région du Moyen-Orient est plus calme aujourd'hui qu'elle ne l'a été depuis deux décennies». Tels sont les mots de Jake Sullivan, conseiller américain à la sécurité nationale, lâchés avec assurance lors d'une conférence il y a quelques jours. Une semaine plus tard à peine, le Hamas lançait son assaut meurtrier contre Israël. En l'espace de quelques heures, une région a priori si «calme» se transformait à nouveau en brasier. Un coup de fil du premier ministre Benjamin Netanyahu plus tard, et Joe Biden se retrouvait empêtré dans le conflit. Non sans avoir promis son «soutien solide et inébranlable» à son alliée éternelle.
Alors qu'il rêvait de s'en extirper, voilà le président américain forcé de s'enfoncer malgré lui dans un Moyen-Orient qui a tout du piège. Engoncé dans une nouvelle crise internationale, susceptible non seulement de détourner son attention d'une de ses priorités en matière de politique étrangère - l'offensive russe en Ukraine -, mais aussi de redéfinir complètement sa stratégie dans la région.
On peut difficilement reprocher à Joe Biden et son administration de ne pas avoir tenté le coup. Le démocrate était arrivé au pouvoir avec la volonté ferme d'en finir avec le dossier qui avait dominé l’agenda de sécurité nationale américaine pendant plus de 20 ans. Une manière de mieux de reporter son attention sur d'autres menaces plus urgentes, Chine et Russie en tête.
Après deux décennies de lutte contre le terrorisme en Irak et en Afghanistan, dont l'impact sur la société, la politique et le budget américains ont été catastrophiques, tout le défi consistait à élaborer une stratégie de sortie qui lui garantisse de rester tranquille.
Le plan comportait deux phases: d'abord, un dégel des relations avec son ennemi juré, l'Iran. Ensuite, l'établissement d'un nouvel équilibre des pouvoirs dans la région, avec l'aide de deux alliés de confiance. En faisant d'Israël et de l'Arabie saoudite, anciennes ennemies, deux partenaires, Washington espérait maintenir le régime iranien sous pression. Au-delà de soulager la conscience américaine, ce rapprochement, l'un des dossiers les plus ambitieux du mandat de Joe Biden, promettait d'avoir un impact transformateur sur la sécurité et l'environnement économique dans l'ensemble de la région.
Hélas, la stratégie des Américains comportait une faille de taille: l'Iran.
C'est peu dire que le régime iranien, qui a fait de l'escalade un outil politique privilégié pour maintenir son influence, se frotte les mains du chaos dans la bande de Gaza. On ignore encore quel est le rôle précis de ce bienfaiteur de longue date du Hamas dans le carnage qui s'est joué en Israël. Des sources citées par le Wall Street Journal affirment que Téhéran est impliqué directement dans la planification des attaques.
D'autres, comme le Washington Post, se veulent plus prudents, se contentant d'affirmer que l’opération «porte la marque du soutien iranien». Quant aux responsables israéliens et américains interrogés sur cette possibilité, ils suggèrent seulement, pour l'instant, que l’Iran est «largement complice».
Quelle que soit l'ampleur de l'intervention iranienne, l'attaque-surprise du Hamas a porté un coup dur aux tentatives de rapprochement de Joe Biden et aux négociations d'accord de normalisation historique entre Israël et l'Arabie saoudite. Cette semaine, le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, s'est abstenu de confirmer que les négociations étaient suspendues. Seulement que la priorité de Washington se trouve désormais ailleurs: aider Israël à se défendre.
Pour les Etats-Unis, le défi immédiat est en effet d'empêcher la guerre de dégénérer en un conflit régional, notamment à la frontière nord d'Israël et en Cisjordanie occupée.
Pour dissuader le Hezbollah et autres groupes militants soutenus par l'Iran de se joindre aux combats, le Pentagone a bandé les muscles et déployé les grands moyens: envoi de munitions et de matériel militaire, porte-avions USS Gerald Ford envoyé au large des côtes israéliennes, ou encore mise à contribution d'avions de combat déjà basés dans la région.
Une démonstration de force militaire que les Américains espèrent non seulement dissuasive, mais aussi décisive en cas d'opération de sauvetage des otages détenus à Gaza. Mercredi, les responsables américains articulaient un chiffre de 17 personnes portées disparues. Mais le nombre exact d'otages reste inconnu à ce jour.
Pendant ce temps, c'est un programme d'aide d'environ 2 milliards de dollars supplémentaires pour soutenir l'effort de guerre du pays contre le Hamas sur lequel planchent l'administration Biden et les principaux membres du Congrès. Si elle est approuvée, l'aide parviendrait à un moment crucial pour Israël, alors que le pays se prépare à une offensive longue et dévastatrice.
La prochaine offensive israélienne pourrait en effet prendre des mois. Avec un risque énorme pour Israël que, à l'instar de l'Ukraine, le soutien pour le pays faiblisse. Un risque dont Joe Biden a parfaitement conscience. Pourtant, à en croire ses collaborateurs, le président américain entend respecter sa promesse et rester durablement aux côtés de son «alliée éternelle», aussi longtemps que le conflit doit se prolonger.
Il faut dire qu'Israël s'est trouvé en Joe Biden un allié inestimable. Au-delà du soutien politique d'usage, l'implication du président américain est plus intime, plus personnelle. Sioniste convaincu, il a déjà raconté comment, au lendemain de l'Holocauste, son père affirmait à table: «Si Israël n'existait pas, il faudrait l'inventer». Cet engagement spirituel envers le sionisme pourrait faire de lui un soutien extrêmement stable et généreux. Voire façonner la manière dont l'administration Biden appréhendera la crise actuelle dans la bande de Gaza.
L'attaque du Hamas marque non seulement le commencement d'une guerre qui s'annonce longue, imprévisible et sanglante, mais surtout la fin des espoirs américains de rayer le Moyen-Orient de l'agenda résidentiel. Joe Biden ne peut plus s'extirper. Il l'a promis.