Depuis son arrivée au pouvoir, entreprises et médias ont dû s’adapter au style imprévisible de Donald Trump. Paradoxalement, malgré ses critiques envers la presse, Trump se montre plus accessible que Joe Biden, répondant directement aux questions. John Harris, rédacteur en chef de Politico, éclaire les relations entre Trump et les médias.
Il y a huit ans, lors de la première élection de Donald Trump, les médias et les entreprises lui opposaient une forte résistance. Aujourd'hui, c'est très différent. Pourquoi?
Après l'élection de 2016, on ne savait pas encore comment serait Donald Trump en tant que président. Jusque-là, il n'avait jamais été un homme politique. Bien souvent, il ne s'agissait pas seulement du contenu de son discours, mais surtout de questions concernant son style et sa rhétorique.
Facebook avait, autrefois, banni Trump de son réseau, mais le fondateur de l'entreprise, Mark Zuckerberg, était sagement assis à la cérémonie d'investiture le 20 janvier dernier. De nombreux entrepreneurs se pressent auprès du milliardaire. N'ont-ils pas de morale?
C'est un comportement intéressant. Il concerne surtout les grandes plates-formes technologiques, qui ont une portée mondiale et disposent d'un pouvoir que l'on pourrait comparer à celui des Etats-nations. C'est pourquoi il est important de rendre compte de ce revirement de situation.
Est-ce que cela vous dérange de voir ces entreprises s'orienter en fonction des tendances dominantes du moment?
Je m'abstiens de porter tout jugement personnel. Mon travail consiste à rendre compte et à tenter d'expliquer les décisions et les comportements.
Comment expliquez-vous ce comportement de girouette? Les entrepreneurs n'ont-ils pas de principes?
J'entends souvent cet argument. Ce dont il faut avoir conscience, c’est que ces entrepreneurs n'agissent pas en tant qu'individus, mais en tant que représentants d'entreprises. Ils sont intéressés par leur propre fortune, mais ils ont aussi une responsabilité envers d'autres actionnaires et envers des milliers d'emplois. Le fait que les entrepreneurs veuillent le meilleur pour eux-mêmes et leurs collaborateurs n'est pas nouveau – et pour cela, ils s'adaptent à l'environnement changeant. Il ne faut pas oublier non plus que le revirement des entreprises a déclenché de nombreuses réactions négatives.
Lors de la première élection en 2016, le contexte a changé, mais les entreprises ne se sont pas adaptées, elles ont résisté.
Les circonstances étaient différentes. Trump, en tant qu'outsider, avait gagné de manière totalement inattendue contre une adversaire qui avait beaucoup de problèmes. Cette fois-ci, sa victoire n'a pas fait sensation.
Et les médias? Ils étaient obnubilés par Trump il y a huit ans et semblent moins emballés aujourd'hui.
Marty Baron, ancien rédacteur en chef du Washington Post, avait dit: «We are not at war, we are at work» («Nous ne sommes pas en guerre, nous sommes au travail»). C'est une description pertinente – indépendamment de qui est au pouvoir. Pour moi, notre tâche, en tant que journalistes, consiste à accompagner un gouvernement de manière responsable et en toute confiance. Nous faisons des reportages, nous observons de près, nous posons des questions et nous offrons différentes perspectives sur les décisions et leurs conséquences.
De plus, nous devrions être prêts à répondre aux questions et à accepter les critiques. Je nous vois dans les médias comme des avocats du lectorat, pas comme des accusateurs du gouvernement.
Trump teste désormais les limites de son pouvoir. Les médias doivent-ils vraiment se contenter de rapporter les faits? Ou ne peuvent-ils pas aussi faire contrepoids face à ce qu'il se passe?
Nous ne parlons pas seulement de ce qu'il fait, mais aussi de ce que font ses adversaires politiques, et les conséquences de tout cela. Je ne pense pas que notre public veuille lire en permanence ce que les journalistes pensent être bien ou mal. Je pense que nos lecteurs sont intelligents et bien informés – ils peuvent se faire leur propre opinion.
Tous les lecteurs ne sont pas aussi bien informés que ceux de Politico.
Je ne veux pas non plus parler au nom de tous les médias, ils ont des stratégies différentes. Mais la curiosité des lecteurs et des téléspectateurs à l'égard du nouveau gouvernement est grande. Répondre à ces attentes, faire des reportages et des recherches, c'est déjà une lourde charge pour nous, les journalistes. Mettons-nous au travail!
Mais Trump méprise les médias…
C'est sa rhétorique. Mais que fait-il concrètement? Trump est plus accessible pour les médias que ne l'était le président Biden.
Le Washington Post n'a pas publié de recommandation de vote pour Kamala Harris parce que le propriétaire Jeff Bezos était intervenu. Qu’est-ce que ça signifie?
Cette décision a été prise juste avant les élections. Elle est donc difficile à justifier. Je comprends que le journal renonce à donner une recommandation de vote. Il peut y avoir des raisons de principe à cela. Chez Politico, nous n'avons jamais eu de page d'opinion ni donné de recommandations électorales. Mais le moment d'annoncer un changement aussi fondamental devrait se situer un an avant les élections. Lors des élections précédentes, le journal a toujours fait une recommandation. Modifier cette tradition à si court terme a suscité, à juste titre, de nombreuses critiques de la part des abonnés.
(Traduit de l'allemand par Anne Castella)