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«La Russie va perdre la guerre en Ukraine en octobre»

Ukrainian paratroopers of 80 Air Assault brigade rest inside a dugout at the frontline near Bakhmut, Ukraine, Friday, March 10, 2023. (AP Photo/Evgeniy Maloletka)
Des parachutistes ukrainiens de la 80e brigade d'assaut aérien se reposent, sur la ligne de front près de Bakhmut, en Ukraine, le vendredi 10 mars 2023.Image: sda
Interview

«La Russie va perdre la guerre en Ukraine en octobre»

La Russie veut à tout prix conquérir Bakhmout sans se soucier des conséquences. Selon l'expert militaire Marcus Keupp, cela se retournera bientôt contre elle. Les forces du Kremlin diminuent en effet rapidement.
14.03.2023, 18:3808.05.2023, 09:29
Un article de
t-online
Marc von Lüpke
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Les forces armées russes étaient redoutées, mais leur puissance n'était que théorique. Selon l'expert militaire Marc Keupp, la donne pourrait désormais changer de manière drastique en faveur de l'Ukraine. Alors que la pénurie se fait de plus en plus sentir du côté russe, l'armée ukrainienne va bientôt utiliser des chars de combat occidentaux dans les combats.

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La ville ukrainienne de Bakhmout n'a pas d'importance stratégique majeure. Pourquoi les forces armées russes acceptent-elles malgré tout de subir des pertes énormes pour la conquérir?
Marcus Keupp: Les troupes russes sont envoyées dans un hachoir à viande, sans aucune considération. Ce procédé est extraordinairement stupide d'un point de vue militaire. La bataille pour Bakhmout ne vise toutefois pas en premier lieu à atteindre des objectifs militaires. Il s'agit plutôt d'une lutte de pouvoir au sein de la direction russe.

Evgueni Prigojine, chef du groupe de mercenaires Wagner, veut conquérir Bakhmout à tout prix. Le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, ne voit pas d'un mauvais œil que les hommes de Wagner soient décidés à décimer Bakhmout.
En effet. Prigojine et Choïgou sont ennemis.

«Néanmoins, Prigojine se fiche également pas mal du sort de son peuple. Ces personnes sont considérées comme superflues, aussi cynique que cela puisse paraître»
expert russie ukraine
Marcus Keuppsource: twitter
Marcus Keupp, né en 1977, est professeur d'économie militaire à l'Académie militaire de l'EPF de Zurich. Dans ses recherches, cet économiste d'entreprise habilité s'intéresse aux questions classiques de l'économie militaire et se penche également sur la sécurité de l'approvisionnement et des infrastructures critiques. En 2019, il a publié son livre Militärökonomie (économie militaire). Le livre est désormais également disponible en anglais et en français.

Mais pourquoi l'armée ukrainienne défend-elle Bakhmout avec autant d'acharnement? Le président Volodymyr Zelensky ne cesse de rappeler l'importance de la ville.
C'est le point crucial. Si les forces russes font preuve d'une grande stupidité, les Ukrainiens, eux, font preuve d'une grande habileté. Les combats autour de Bakhmout mobilisent un grand nombre de forces russes, des soldats qui manquent à leur tour à d'autres endroits. L'Ukraine peut ainsi préserver ses réserves et accumuler des forces pour les offensives du printemps.

«Par ailleurs, plus Zelensky insiste sur "l'importance de Bakhmout", plus Prigojine est pressé de conquérir la ville. La Russie est tombée dans le piège»

En tant que défenseurs, les soldats ukrainiens à Bakhmout bénéficient de certains avantages.
On peut le dire. Normalement, un attaquant doit être supérieur au défenseur d'au moins trois contre un. Dans les combats urbains, ce rapport doit être encore plus important en faveur de l'attaquant si l'on veut que les plans aboutissent. En effet, les défenseurs utilisent l'infrastructure urbaine: les tireurs d'élite sont à l'affût dans les bâtiments en hauteur, les rues permettent de tendre des embuscades. C'est aussi la raison pour laquelle l'artillerie russe avait auparavant tiré sur Bakhmout. C'était une façon de préparer la ville à l'assaut.

De plus, les troupes russes doivent se passer de l'appui de leurs chars dans les zones urbaines.
Les plus grands chars seraient vite bloqués dans les rues et deviendraient rapidement la proie des défenseurs. Il existe certes des chars plus petits, mieux adaptés au combat en zone urbaine, mais l'armée russe n'en dispose tout simplement pas. Bakhmout convient également à l'Ukraine pour une autre raison: la ville est située dans une plaine et l'artillerie ukrainienne se trouve sur les collines environnantes.​

Elle peut alors tirer sur les adversaires russes.
Exactement.

«Les troupes russes se vident de leur sang là-bas, il n'y a pas d'autre mot. Elles sont tout simplement de la chair à canon: perdre jusqu'à 600 hommes par jour est un chiffre effrayant»

Certes, la guerre russo-ukrainienne se distingue fondamentalement de la Première Guerre mondiale, mais certaines images de Bakhmout nous rappellent l'amertume de ses combats de tranchées, au cours desquels des milliers de soldats ont été sacrifiés pour quelques mètres.

On parle à nouveau de la prise imminente de Bakhmout par les troupes russes. Jusqu'à quand la défense de la ville en vaudra-t-elle la peine pour l'Ukraine?
Tant que les troupes russes sont prêtes à supporter l'énorme usure de leurs formations et de leurs véhicules de combat. Actuellement, les pertes russes sont environ six fois supérieures à celles de l'Ukraine. Si ce rapport évolue en faveur de la Russie, les troupes ukrainiennes se retireront.​

Les combats pour Bakhmout illustrent donc ce que signifie une «guerre d'usure» dans la réalité.
Oui, la situation à Bakhmout symbolise parfaitement cette réalité à l'heure actuelle. Il suffit de regarder les chiffres pour s'en rendre compte: pour prendre la ville, le commandement russe envoie des bataillons dans des attaques frontales abrutissantes. Les unités sont rapidement abattues. S'ils perdent un bataillon par jour, ils doivent se procurer des remplaçants. Mais où les trouver? On dégarnit alors d'autres endroits du front. Pour situer la zone géographique dont nous parlons: la section du front à Bakhmout s'étend sur 20 kilomètres, mais l'ensemble du front, de Kherson à Kharkiv, fait plus de 1000 kilomètres. L'assaut acharné des formations russes ne relève plus de la rationalité militaire.​

Tandis que Prigojine a choisi Bakhmout comme cible de ses obsessions, Choïgou, le ministre de la Défense, veut à tout prix s'emparer de Vouhledar, une ville également disputée.
C'est la même affaire. La bataille de Vouhledar en février dernier s'est terminée de manière catastrophique. La conduite des opérations de la Russie a manqué de coordination et de concentration. On estime que les Russes ont perdu 130 systèmes mécanisés. Même si les Russes réussissaient une percée, ils ne feraient que se heurter à la zone profonde dans laquelle l'armée ukrainienne a déjà établi de nouvelles positions défensives. Dans le cas de Bakhmout, il s'agirait même d'une rectification du front qui ne nuirait pas à la position ukrainienne.

«Quoi qu'il en soit, la défaite de la Russie se concrétise clairement»

Comment l'expliquez-vous?
En octobre, la guerre sera certainement terminée. Probablement. J'en arrive à cette estimation sur la base de calculs simples: on fait la somme de ce que la Russie possédait en chars et autres véhicules militaires opérationnels avant la guerre et l'on met cela en relation avec leurs pertes. J'ai en effet l'impression que les réserves russes sont extrêmement surestimées. Beaucoup de matériel date des années cinquante et soixante. Il est beau sur le papier, mais n'a aucune valeur opérationnelle. Bien sûr, les Russes peuvent remettre en état de vieux chars, mais ils doivent faire face à des Leopard et des Challenger. A partir de là, les Ukrainiens ont la partie facile.

Leopard, char
Le Leopard 2 est un char de combat allemand.source: t-online

L'armée russe est donc à court de matériel. Les usines d'armement ne produisent-elles pas suffisamment?
Avant la guerre, la Russie était capable de produire environ 100 chars de combat par an, mais dans des conditions économiques favorables. Au taux d'usure actuel de cinq chars par jour de combat, ils devraient toutefois produire 1500 chars par an pour uniquement compenser les pertes.

«De plus, les chars de combat occidentaux feront bientôt leur apparition sur les champs de bataille, ce qui changera encore une fois radicalement la situation en faveur de l'Ukraine»

Les chars de combat occidentaux peuvent abattre les chars russes à distance. Avec cette puissance de combat, les Ukrainiens vont diviser le front russe. Les choses deviendront alors assez dramatiques pour les troupes russes, car l'armée ukrainienne attaquera systématiquement leur ravitaillement.

Enfin, la corruption au sein de l'armée russe est un énorme problème.
Cela se paie aujourd'hui amèrement. Les guerres ne sont pas décidées par de grandes batailles, mais par les réserves et la logistique. Comment puis-je garantir au mieux et à long terme l'approvisionnement de mes troupes? C'est la question la plus importante. L'armée russe est pratiquement à sec, il n'y a plus rien à récupérer. La frontière avec la Finlande, Kaliningrad, même l'Extrême-Orient est dépouillée: tout ce que la Russie possède comme matériel opérationnel se trouve en Ukraine.

«Il arrivera un moment où le front s'effondrera tout simplement, comme jadis pendant la Première Guerre mondiale»

L'Iran fournit des drones à la Russie, les livraisons d'armes de la Chine pourraient-elles également apporter un peu d'équilibre? Ou est-ce que la logistique serait tout simplement trop compliquée?
C'est effectivement ce dernier cas de figure qui se présente.

«Pékin pourrait livrer des armes via le Kazakhstan, mais le gouvernement kazakh ne le tolérera pas s'il est bien conseillé»

Il resterait alors le Transsibérien comme seule ligne de chemin de fer envisageable. Vladimir Poutine devrait alors faire preuve de beaucoup de patience jusqu'à ce que suffisamment de matériel de guerre soit livré. La Russie a déjà tiré plus de 60% de ses munitions d'artillerie, c'est pourquoi elle fait désormais preuve de retenue dans ce domaine.

Face à cette pénurie, y a-t-il une chance que l'armée russe joue encore une fois le tout pour le tout? Tant qu'il lui reste des véhicules et des munitions?
Je ne pense pas que ce soit probable.

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Quiconque a visité le pays en dehors des métropoles étincelantes de Moscou et de Saint-Pétersbourg peut le deviner, mais peu de politiques occidentaux s'y sont rendus.

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