Depuis que l'Iran a attaqué Israël avec des centaines de drones et de missiles dans la nuit de samedi à dimanche, le Proche-Orient se trouve à la croisée des chemins. En Israël, le gouvernement se penche sur sa réaction à l'attaque. De celle-ci pourrait dépendre la transformation de la guerre de Gaza en un conflit généralisé, qui risquerait d'apporter souffrance et destruction au-delà de la région. Ni les dirigeants israéliens ni les dirigeants iraniens ne semblent le vouloir, mais la logique de l'escalade qui dure depuis des mois a depuis longtemps développé une dynamique imprévisible.
Le cabinet de guerre israélien s'est réuni lundi pour la deuxième fois en 24 heures. Selon un reportage de la chaîne israélienne Kanal 12, le gouvernement cherche une réponse ferme, mais qui ne lancerait pas une guerre de plus grande ampleur. Les principaux partenaires, dont les Etats-Unis, appellent le pays à la désescalade.
D'après les médias israéliens, le gouvernement ne prévoit pas de contre-attaque imminente sur le territoire iranien. Selon l'expert de l'Iran Raz Zimmt, du groupe de réflexion Institute for National Security Studies de Tel Aviv, le pays a désormais plusieurs options en main.
Depuis de nombreuses années, l'Iran a mis en place un réseau dense de milices par procuration au Moyen-Orient, par le biais duquel le pays exerce une influence sur la région. Qu'est-ce qui a poussé Téhéran à changer cette stratégie et à prendre le risque d'une guerre ouverte?
Raz Zimmt: L'escalade se dessinait depuis longtemps. Cela fait des mois que des fonctionnaires iraniens de haut rang meurent dans des attaques vraisemblablement israéliennes en Syrie et au Liban. Le rythme et la sévérité des attaques augmentent et de plus en plus de voix s'élèvent à Téhéran pour mettre fin à la soi-disant «patience stratégique».
Après cela, les partisans d'une ligne dure ont pu s'imposer: ceux qui étaient pour une riposte directe, sans passer par les intermédiaires dans la région comme le Hezbollah ou les milices en Syrie et en Irak.
Que veulent les dirigeants de Téhéran?
C'est un vrai dilemme: l'Iran ne veut pas d'une guerre ouverte avec Israël et les Etats-Unis, et a fait preuve de retenue depuis le début de la guerre de Gaza. Parallèlement, les dirigeants iraniens veulent rétablir leur dissuasion militaire, qui n'a pas empêché Israël d'attaquer des militaires iraniens en dehors de l'Iran au cours des derniers mois, notamment en bombardant son consulat à Damas il y a deux semaines
La frappe iranienne a-t-elle été efficace à cet égard?
Cela a plutôt échoué parce qu'Israël et ses alliés ont pu intercepter presque tous les missiles. Mais il est possible que l'objectif de Téhéran n'ait pas été de faire des dégâts. Le fait qu'ils n'aient pas visé de centres de population plaide également en ce sens. Même sans avoir touché sa cible, l'attaque directe de plus de 300 drones et missiles était si inattendue et sans précédent qu'elle a définitivement changé l'équation israélienne.
Après l'attaque, l'Iran a déclaré que l'affaire était «close». Comment va réagir Israël?
Le gouvernement israélien doit répondre à cette attaque. Israël est confronté au même dilemme que l'Iran.
Mais plusieurs éléments plaident contre une riposte immédiate. Il y a d'abord la pression des Etats-Unis, qui ne soutiennent pas une contre-attaque. Le président Joe Biden l'aurait fait savoir à Benyamin Netanyahou par téléphone dans la nuit. D'autre part, Israël est toujours en pleine guerre à Gaza et n'y a pas encore atteint ses objectifs. Depuis l'incursion du Hamas en octobre, les dirigeants israéliens ont largement tenté d'éviter d'ouvrir des fronts supplémentaires. Les calculs ne sont donc pas faits uniquement sur la base de la volonté politique au sein du gouvernement.
Quelles sont les tendances à ce sujet pour les dirigeants israéliens?
Il est difficile de prédire qui se positionnera sur cette question et comment. La décision revient au cabinet de guerre, composé de cinq membres. Les partisans d'une ligne dure extrême comme le ministre de la sécurité Itamar Ben Gvir, qui a déjà appelé publiquement à une riposte, n'y sont pas représentés. Des membres comme l'ancien chef de l'opposition Benny Gantz ou l'ancien chef de l'armée Gadi Eizenkot ont déjà adopté à plusieurs reprises des positions plus modérées lors de la guerre de Gaza. Cela ne s'applique toutefois pas forcément à l'Iran.
Une réponse non militaire est-elle envisageable?
Lorsqu'en 1991, Israël a été bombardé de roquettes par Saddam Hussein depuis l'Irak, le gouvernement a renoncé à une riposte militaire, il y a donc des précédents. Mais à l'époque, il y avait de bonnes raisons à cela: entre autres, cela aurait mis en danger la participation des Etats arabes à la coalition américaine contre Bagdad. Cette fois encore, les Etats-Unis se prononcent clairement contre une riposte militaire contre l'Iran. Néanmoins, je pense qu'il est peu probable qu'ils renoncent à une réponse militaire. Les dirigeants israéliens disposent toutefois d'une marge de manœuvre: la contre-attaque ne doit pas être immédiate et ne doit pas nécessairement être dirigée contre des cibles en Iran.
Comment le Hamas a-t-il réagi à l'attaque et quel impact aura celle-ci sur la guerre à Gaza?
Dès le début, le Hamas voulait étendre la guerre à toute la région. Le fait que le Hezbollah et d'autres groupes n'aient jusqu'à présent participé que de manière limitée aux combats a été une déception pour eux.
Néanmoins, l'attaque ne devrait pas changer grand-chose à la situation à Gaza à long terme, tant que le conflit avec l'Iran ne s'aggrave pas.
Traduit et adapté par Tanja Maeder